HASSEN CHALGHOUMI
IMAM DE DRANCY
Le discours interreligieux ne doit pas s’arrêter aux lieux de culte, parce que plus de 80 % des juifs ou des musulmans en France ne les fréquentent pas. Il faut travailler à l’extérieur. Dans les écoles d’abord, c’est fondamental. Ces jeunes qui partent en Syrie sont une preuve de l’échec de l’école de la République. L’école doit trouver des solutions contre l’ignorance et recevoir des reprsentants religieux dont le but est d’éviter les amalgames, certainement pas de faire du prosélytisme auprès des élèves. Ensuite, Internet et les réseaux sociaux. C’est par là que passent les jeunes qui se radicalisent, ils ne fréquentent pas les mosquées. Nous, les modérés, devons investir ce terrain et réfuter, pied à pied, la haine prêchée par les radicaux, pour devenir plus présents qu’eux. Il faut également multiplier les contacts avec les parents, les associer, parce que bien souvent, les jeunes adultes vivent encore chez eux. Enfin, les médias doivent aussi montrer le positif au lieu, toujours, de matraquer les problèmes. Ils doivent expliquer que ce problème est politique, pas religieux, et cesser de jouer le jeu des partis politiques extrémistes qui, à mon avis, n’en ont rien à faire des Palestiniens. Par ailleurs, bien sûr, on peut légitimement avoir un attachement à Israël ou à la Palestine quand on est juif ou musulman. Mais qui a dit que soutenir quelqu’un revenait à haïr l’autre? Il faut cesser d’être plus royaliste que le roi. Chacun doit condamner ses extrémistes et éviter absolument de confondre tout un peuple avec ses malfaisants.
ARMAND ABÉCASSIS
PHILOSOPHE
Nous devons absolument parler à l’autre, en toutes circonstances. Malheureusement, beaucoup de juifs ne s’occupent que d’eux-mêmes parce qu’ils ont peur. Il faut qu’ils s’ouvrent, qu’ils aient le courage de dialoguer, de laisser le dialogue absolument ouvert. C’est-à-dire que nous devons accepter que l’autre nous remette en question, qu’il ne soit pas d’accord avec nous, et qu’il ait aussi raison. Mais le judaïsme aujourd’hui, surtout consistorial, et la formation actuelle des rabbins, poussent au recroquevillement des juifs sur eux-mêmes, sous le pseudo-prétexte de l’antisémitisme qui justifierait de rompre avec les autres. Le dialogue ne doit jamais s’arrêter, surtout avec celui qui n’est pas d’accord avec nous. Il n’y a qu’une solution pour améliorer cette situation, et elle doit venir de celui qui a pris conscience de cette nécessité absolue, c’est-à-dire nous, les juifs – enfin, certains juifs. Il y a un midrash qui raconte qu’après que Dieu a créé les deux grands luminaires, le soleil et la lune, cette dernière vient se plaindre à Dieu : « Il ne peut y avoir deux couronnes ». Et Dieu lui répond : « C’est bien, tu as été la première à comprendre ça, alors laisse la place ».
TAREQ OUBROU
IMAM DE BORDEAUX
Dans notre république laïque, les institutions religieuses, circonscrites dans les temples, n’ont pas d’impact sur les citoyens ni d’emprise sur la société. La vraie question, qui ne relève pas des institutions religieuses, c’est l’éducation des citoyens. Tout commence par l’école, dont la religion est exclue. Il faut y introduire l’enseignement du fait religieux, le débat interculturel. Les solutions ne passent pas tant par la religion que par la volonté politique, et nos hommes politiques ne prennent pas leurs responsabilités. Et puis les institutions représentatives des différentes communautés, dont le rôle est politique, doivent s’obliger à une parole juste. C’est leur rôle de refuser l’injustice, qu’elle vienne de leur côté ou d’un autre. Lorsqu’une institution défend systématiquement des politiques qui sont en porte-à-faux par rapport à nos traditions religieuses, elle dessert sa communauté. Si je ne suis pas capable de critiquer ma tradition, ma communauté, alors je ne peux pas être un homme de dialogue. Ce qui nous manque aujourd’hui, en politique comme dans les institutions, ce sont des hommes qui font l’histoire – nous n’avons plus que des hommes faits par l’histoire.
JEAN-FRANÇOIS BENSAHEL
PRÉSIDENT DE L’ULIF-COPERNIC
La question de la cohabitation pacifique, amicale et engagée entre juifs et musulmans passe par les trois axes suivant
– L’axe religieux qui implique un dialogue permanent entre rabbins et imams et entre synagogues et mosquées. Évidemment, il y a une grande attente, en particulier dans notre communauté de Copernic. Il faut faire comprendre que nos textes sont des textes d’ouverture et de tolérance, que les deux communautés veulent la paix, et que les comprendre autrement, c’est mentir.
– Vaincre les préjugés – c’est là le sujet principal. Pour ce faire, il faut aider les organisations comme l’AJMF, la fondation Imad ibn Ziaten pour la jeunesse et la paix, ou une association qui s’appelle justement « les préjugés » qui, dans les lycées, travaille précisément à dégonfler les préjugés et qui emmène des classes, par exemple, visiter des synagogues. À ce titre, nous avons reçu début décembre à Copernic des classes de Noisy-le-Sec, ce qui nous a permis de nous connaître, de voir qui nous sommes, de parler, d’échanger, connaître l’autre… Donc l’association « les préjugés », permet d’aider, de développer les relations, pour qu’au niveau de la jeunesse, dans les lycées notamment, les esprits s’ouvrent.
– Enfin, je crois qu’il faudrait monter un grand mouvement entre juifs et musulmans. Je pense notamment, aux musulmans, à tous ces musulmans qui se sont présentés aux récentes élections municipales, en républicains. Il faut faire comprendre que non, ce n’est pas vrai, nous n’avons jamais demandé de droits particuliers et que nous avons été très reconnaissants envers la France de nous avoir acceptés historiquement. Nous avons vécu notre relation avec la France sur le mode du devoir. Je crois que cela concerne au plus haut point les juifs libéraux – mais pas uniquement les juifs libéraux. On aurait tout à fait intérêt à faire comprendre que ce modèle d’intégration que nous, juifs, avions connu, est un modèle dans lequel on demande finalement très peu de droits mais où l’on pense en termes de ce que nous pouvons rendre à notre pays. Ce modèle d’intégration et d’adhésion à la laïcité, nous pouvons l’expliquer, le faire partager aux musulmans de France et, de ce fait, aider à la construction de cet islam de France.