18-24 janvier : journal photo de l’attente

Sarah Ohayon photographie la rue de Tel Aviv. Chaque semaine (à partir de maintenant), elle nous décrit ce qui se joue sous ses yeux: l’espoir, la libération des trois premières otages depuis si lontemps, la normalité qui n’existe pas vraiment, shabbat qui revient chaque vendredi. 

 

© Sarah Ohayon

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Dimanche 19 janvier, 6h30 du matin, on attend
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Semaine du samedi 18 janvier au vendredi 24 janvier

Samedi 18 janvier, veille de la libération des premières otages, Doron, Emily et Romi et de la mise en place de l’accord. On se dirige vers la Place des Otages, comme un réflexe. Tout le monde est scotché à son téléphone dans l’attente de nouvelles informations. La fin de la guerre, le retour des otages, tout ça depuis l’un des lieux les plus oniriques de Tel Aviv, le théâtre Habima. Sommes-nous dans un rêve ou est-ce vraiment le début de la fin de la guerre?

© Sarah Ohayon

Les 24 heures qui suivent, la tension est palpable, l’espoir tout autant. Sur le “Kikar haHatoufim” (Places des Otages), nous écoutons des discours de familles de soldats tombés, la soeur de Yarden Bibas, Amit Soussana, une ancienne otage, des chansons, la Hatikva encore et toujours (l’hymne national). Je suis fascinée de voir (et d’entendre, grâce à mes progrès colossaux en hébreu cette dernière année) la confiance avec laquelle tous affirment que les otages vont enfin “rentrer à la maison”. Bien sûr, il y a une certaine prudence et un appel à faire tenir cet accord mais ce qui domine, c’est l’espoir. Vraiment l’espoir. Cette force des Israéliens à être dans l’instant, se réjouir de ce qui est pour le moment, faire abstraction du reste.

Toute la journée du dimanche 19 janvier est une longue attente: le Hamas va-t-il respecter ses engagements? Après tout, l’organisation terroriste a déjà enfreint les termes de l’accord en transmettant la liste des premières libérations en retard. Va-t-on récupérer des otages vivants? Des corps? Peut-on s’attendre à un retournement de dernière minute? Dans quel état les otages vont-ils rentrer?

Il y a du monde Place des Otages. Toute la journée. Devant les infos en continu. Je suis au téléphone avec une copine qui est elle aussi devant les infos en continu. Les pronostics, les films dans la tête, l’attente. Et puis, il y a aussi ceux qui sont sur des groupes Telegram, qui découvrent en avant-première les vidéos les plus choquantes et les news les plus chaudes.

La libération commence, les premières infos, les premières images, les mises en scènes dégoûtantes, des centaines d’hommes armés sans visage, la Croix-Rouge qui re-débarque comme par magie. Quelques heures plus tard, elles sont libres. Dans un appel vidéo à son père, les premiers mots d’une des otages sont: “Papa, je suis rentrée à la vie!”.

© Sarah Ohayon

Après cette journée éprouvante, nous comprenons que l’attente va être longue, que c’est un supplice que le Hamas nous inflige. Certains ici sont contre cet accord car ils le considèrent comme une humiliation, un accord dont les termes sont profondément injustes. C’est le cas. Mais, nous, les Juifs, mettons toujours la vie au-dessus de tout, il me semble. Alors, peu importe le contenu de cet accord, s’il permet de ramener vivants des otages et de donner un peu de répit à une population meurtrie sur place, alors, il en vaut la peine, il me semble.

© Sarah Ohayon

Le lendemain, le soleil brille, les Tel-Avivis sont au café sur leur ordi, ça bosse, ça discute, ça se balade en leggings, ça sort son chien. La vie a repris. Jamais vraiment comme si de rien était mais la notion de normal ici n’existe pas. Notre “normal” c’est ça: aller Place des Otages, pleurer 5 fois dans une journée, 4 fois de stress, de dégoût, de tristesse puis une fois de joie parce que trois femmes sont rentrées de captivité, aller se coucher en espérant une nuit ininterrompue. Se réveiller, sortir de sa chambre, voir le soleil. Descendre dans la rue, boire un ou beaucoup de cafés, tenir les conversations les plus ordinaires.

Mardi soir, il y a eu un attentat sur Nahalat Binyamin, la rue des bars. Le lendemain matin à l’oulpan [école pour apprendre l’hébreu] une amie me raconte qu’elle y était, ils ont entendu crier “pigoua! pigoua!” (attentat, attentat), des tables retournées, des verres qui se brisent, des coups de feu, ils ont couru. C’était un touriste résident américain d’origine marocaine. Ça n’a ni queue ni tête.

© Sarah Ohayon

Je pourrais écrire des heures (et je le ferai sûrement) sur la vie ici mais nous sommes vendredi matin, je vais aller profiter de la journée avant que tout ne ferme pour shabbat. Aujourd’hui, il pleut, on va aller au mall. La prochaine libération est prévue ce week-end. Je vous tiens au courant.

  • Sarah Barukh

« Il reste de la place en France pour le vivre ensemble »

De bleu, de blanc, de rouge et d’étoiles (éditions HarperCollins) est une fresque ambitieuse qui nous fait voyager de Paris à Peshawar (Pakistan) en passant par Gaza, Ko Samui (Thaïlande), la Chine et l’Erythrée. Le dernier livre de Sarah Barukh aborde aussi bien le terrorisme islamiste, les banlieues radicalisées, les milieux complotistes proches de Soral, l’exil des migrants, l’univers des ONG, les valeurs républicaines… Quelques jours après sa sortie, l’auteure, qui planche déjà sur la suite, un récit à la première personne, revient pour Tenoua sur la genèse de ce roman brûlant d’actualité.

 

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