FRANÇOIS HEILBRONN: « Deux étés 44 »

Conseil lecture

François Heilbronn, Stock, 2023, 20,90 €

Persistences

Si l’histoire ne se répète jamais, certaines concomitances sont néanmoins frappantes. Deux étés 44, le premier roman de François Heilbronn joue sur un écho temporel et se déploie autour de deux dates, deux étés français à deux siècles d’écart: celui de 1744 et celui de 1944. 

L’histoire des juifs est très intimement liée à celle de la France. Longue, tourmentée, souvent douloureuse et parfois fructueuse. Le texte de François Heilbronn atteste de cette présence juive en France à la manière d’un historien, ses références sont nombreuses et érudites. Les figures juives dont s’empare l’auteur apparaissent auprès de personnages historiques fameux. Une mise en perspective qui procure un certain vertige: “nous pouvons faire remonter notre présence en France au IXe siècle. Un de nos aïeux était le sage Kalonymos, un halakhiste de renom, poète et conseiller de Charlemagne”. Cette proximité avec le pouvoir politique est au coeur de l’ouvrage de François Heilbronn. Ce dernier met en scène un secret qui, pour bien gardé qu’il fut, traversa les siècles: l’intervention quasi miraculeuse d’un de ses ancêtres, Isaïe Cerf Oulman, médecin de la communauté juive de Metz, auprès du roi Louis XV agonisant. Déguisements, tourbillons des médecins charlatans et des maîtresses royales, complots des courtisans et des dévots: le texte prend des allures d’une pièce tragi-comique que Molière n’aurait pas renié.

Au-delà du récit historique, Deux étés 44 est aussi le texte d’un passeur, passeur de mémoire mais aussi de culture. L’auteur donne à voir les rites et les prières de ces Juifs qui vivent isolés du reste de la population, sont écrasés d’impôts, pratiquent une langue aux accents magiques et inconnus des Chrétiens. Mû par une visée universelle, François Heilbronn explique chaque incantation de ses personnages, détaille chaque geste et les éclaire pour que tous les lecteurs soient en mesure d’y trouver un sens plein et entier pour entrer ainsi dans un monde et une pensée qui leur sont peut-être étrangers. Les détails de la vie quotidienne de la communauté juive de Metz sous l’Ancien Régime, leurs conversations à la sortie de la synagogue forment une vaste lettre d’amour à la France. Ainsi, quand Louis XV demande à son médecin juif comment le remercier pour sa guérison, Oulman réplique: “Sire, notre voeu le plus cher demeure d’avoir l’honneur de porter haut et fort le plus noble des titres, celui de Français”. Un amour malheureux: il est impossible au Roi d’accéder à la requête de son sauveur, par crainte des dévots mais aussi englués dans ses propres préjugés. 

Un amour pour la France qui tournera franchement au drame deux siècles plus tard.
Les Juifs sont alors arrachés à la France, emmenés dans des wagons à bestiaux vers les camps d’extermination nazis. Les descendants de l’homme qui avait sauvé le Roi de France sont emportés dans le maelstrom de la seconde guerre mondiale. Rafles, déportations, résistance, disparitions: l’été 44 est définitivement celui du malheur. 

La fresque mémorielle dessinée par François Heilbronn trouve une cohérence grandiose au Panthéon, église née des promesses de Louis XV et qui, devenu lieu de mémoire républicain, s’ouvrit alors aux Juifs.

Écoutez un extrait de « Deux étés 44 » lu par son auteur, François Heilbronn