
La Journée internationale des droits des femmes, on la redoutait. On savait que ça pourrait tourner court ou au vinaigre. On savait que plusieurs collectifs pro-Hamas (dont Urgence Palestine et Samidoun) prévoyaient d’empêcher le collectif Nous Vivrons (né après le 7 octobre pour lutter contre l’antisémitisme et pour la reconnaissance des crimes du Hamas) de marcher. On savait que ce qui s’était déjà produit (le 25 novembre 2023, le 8 mars 2024, le 25 novembre 2024) pourrait se reproduire. Mais bon, on a décidé d’y croire. Peut-être parce que ce jour-là le ciel était bleu, bleu roi.
J’ai arpenté la Place de la République à 14h, avant que tout ne commence vraiment, j’ai dévisagé les différents cortèges/stands et rugit une irrépressible envie de pleurer, de m’échapper, de ne plus revenir. Comment des féministes ont-elles pu me faire peur? Me donner l’impression qu’avec elles, je n’étais pas protégée? Comment trouver la safe place? Nous avons été si nombreuses à ressentir ce malaise, ce sentiment de ne pas être à sa place, en safe place, Place de la République.
L’illustratrice Anne Billows ne participe plus à la marche du 8 mars depuis plusieurs années, elle la trouve trop violente (c’est ce qu’elle confie dans un post publié sur ses réseaux) mais cette année, elle l’a croisée en remontant le boulevard Voltaire et elle n’a pas voulu croire ce qui émanait d’un des cortèges pro-palestiniens. Elle écrit même que “cette marche a été infiltrée par des intérêts masculinistes”. Dans son dessin, on discerne le collectif Nous Vivrons “complètement encerclé par la police, isolé de la marche”. La tristesse la gagne.
Léa Veinstein n’a pas non plus marché, elle a simplement traversé la place de la République. Assez longtemps pour qu’on lui distribue un tract “disant de ne pas se mettre en marche s’il y avait Némésis (un groupuscule d’extrême droite : ça, ok, évidemment) et
Nous Vivrons (un groupe de femmes juives qui s’est créé après le 7 octobre et n’est certes pas tout à fait gauchiste, mais tout à fait clean sur l’extrême droite)”. Plus tard, dans sa story, elle ajoute : “Et surtout, pour la première fois dans une manif, je me suis sentie mal. J’ai flippé”.
Myriam Levain (interviewée dans le cadre de notre podcast “Sororité?”) s’est posée une question simple: avec qui défiler? Avec quelles sœurs? “Devais-je y aller en tant qu’habituée de ces cortèges, vêtue d’un t-shirt violet et munie d’une pancarte au slogan percutant, au sein d’un cortège féministe ‘traditionnel’, comme je l’ai toujours fait, étant investie personnellement et professionnellement sur ces questions depuis 20 ans? […] Ou bien devais-je justement défiler avec le cortège des femmes juives de Nous Vivrons, dont je partage les combats depuis le tournant de ce 7 octobre noir, et qui était menacé d’exclusion de la manif parce que considéré comme ‘fasciste’.” Elle ajoute : “Et j’ai eu la très désagréable impression de revivre un dilemme vieux comme les juifs: sortir du ghetto en reniant les miens ou bien y rester et évoluer en marge de la société.” Elle a décidé qu’elle n’irait pas.
Comme d’autres, j’ai appris ce qui arrivait, ce qui était arrivé : le collectif Nous Vivrons, composé essentiellement de femmes juives et sionistes (= pour que les Israéliens et les Israéliennes continuent à exister) n’a pas pu rejoindre le reste des manifestantes. Elles ont été empêchées pendant 3h30, coincées dans une petite ruelle. Menacées. Valait mieux être bloquées qu’agressées. Valait mieux marcher. Elsa Wolinski nous le raconte autrement : “Voir en vrai les collectifs Nous Vivrons et Femmes Azadi parqués, dans une ruelle ombragée, entourés de CRS pour protéger leur sécurité. Il n’était pas question de religion pour moi ce jour-là, juste de droits.” Joann Sfar nous dessine trois bonhommes pas bien lunés qui se vantent : “très fier que notre gang d’hommes féministes ait pu barrer la route aux femmes juives qui voulaient manifester”.
En commentaire d’un post, Annabelle revient sur la fin de la marche: “à 17h seulement, on a pu démarrer, sans que personne ne nous voit – à part quelques badauds antisémites ravis de nous faire des doigts d’honneur. Et, toutes les quelques centaines de mètres, on entendait une détonation, c’était les fumigènes de désencerclement utilisés par les CRS pour forcer à bouger ceux qui s’étaient accordés à faire blocage contre nous”.
Nous avons été nombreuses à décrire le malaise qui nous a ensevelies ce jour-là. Mais qui a bien voulu tendre l’oreille? Qui a bien voulu entendre la solitude des femmes juives (et sionistes, se sent-on obligée d’ajouter)? Cette solitude qui nous colle à la peau depuis le 7 octobre 2023 dès que l’on entend rappeler les faits. Il y a évidemment quelques alliées (comme Axelle Tessandier et Diane Richard) avec lesquelles nous avons déjà discuté et qui continuent à s’engager. Diane Richard a d’ailleurs publié sa réaction, son énervement, sur son compte Instagram: “On va arrêter de faire le tri entre les ‘bonnes juives antisionistes et décoloniales’: conditionner la présence de femmes juives dans une manifestation à leur positionnement sur Israël, c’est antisémite. Point.”
On ne peut s’empêcher de se poser la question: comment la journée a-t-elle pu continuer comme si de rien n’était? Alors que des femmes juives attendaient que le danger s’érode? Il y a des personnes qui ne savaient pas ce qui se passait. Il y a des personnes qui ne savent toujours pas. Parce que tout le monde n’a pas les yeux rivés sur ce combat, sur cette guerre.
On pense à cette majorité silencieuse – celle dont tout le monde parle (pour se rassurer?): et si elle osait? Et si elle avait moins peur de dire qu’elle n’est pas d’accord que la marche soit prise en otage par des extrémistes?
Mardi 11 mars, plusieurs organisations féministes (dont La Fondation des Femmes, Le Planning familial, Les Guerrières de la Paix, We Are Not Weapons of War) se sont associées pour signer une lettre “à nos sœurs juives”. D’une seule voix, il est écrit: “Les femmes qui souhaitent porter la voix des femmes israéliennes victimes de violences sexuelles doivent pouvoir s’exprimer à nos côtés”. Ouf. Ouf. Ouf. Mais, qu’est-ce qui va être mis en place? Quelles actions? Quels engagements? Ça, ce n’est pas écrit. On pense chaque chose en son temps.
Je pourrais continuer à écrire le journal de mes “ouf” et de mes “mais” encore longtemps. Chaque jour me donne l’occasion de découvrir de nouvelles propagandes antisémito-antisionistes émanant de certains collectifs féministes, de certaines personnalités qui s’adressent sans douter à des dizaines de milliers de personnes. Avant, je gonflais la masse de leurs abonnées. Après “comment on en est arrivé-là?”, bienvenue dans: “jusqu’à quand on va vivre ça?”