L’usage du maquillage non permanent ou la teinture des cheveux en dehors du shabbat1 ne relève pas de la Halakha pure. Selon les obédiences, on trouvera des codes plus ou moins arrêtés et plus ou moins différents. Pour les messieurs, l’imitation d’une pratique féminine semblerait se rapprocher du commandement « Un homme ne revêtira pas un habit de femme » (Deutéronome 22,5), sans que cela n’exclut de répondre par la permission en cas de nécessité sociale.
La pratique du tatouage interroge, elle, un passif biblique plus lourd: « D’incision pour un défunt, ne pratiquez pas sur votre chair; d’écriture scarifiée ne pratiquez pas sur vous; je suis l’Éternel. » (Lévitique 19,28) Même si l’on croit deviner une énième mise à distance des codes idolâtres2 , l’application contemporaine de l’interdit ne fait pas débat3. Reste à en déterminer le contenu précis. Le Talmud4 le décompose en deux actes: écrire à l’encre ou à la teinture et inciser. Inciser puis colorer, dans cet ordre, selon la majorité des médiévaux5 . Quid de l’« écriture » seule ? Si l’interdit biblique semble contourné, les médiévaux s’accordent à déduire l’interdit rabbinique. Ajouté à la différence notable entre la réalisation d’un motif et l’écriture du nom d’une divinité, voilà de quoi permettre certains maquillages permanents en cas de nécessité sociale ou maritale: dissimuler un défaut, une cicatrice ou dessiner une papille mammaire après ablation d’un sein6 .
Chez les décisionnaires d’aujourd’hui, le refus du tatouage à visée esthétique, artistique ou revendicative persiste donc, assorti de la permission d’effacer les- dits tatouages dans le cadre d’un retour à la pratique. Permission, éventuelle recommandation, mais pas obligation formelle7.
Le recours à la chirurgie esthétique a lui aussi fait l’objet d’une pondération. Attendu qu’intervenir aussi conséquemment sur le corps n’est licite que dans le cadre d’un soin, à visée prédictive inclus, pour quels motifs, quel degré de mal-être sera-t-il autorisé d’avoir recours à la chirurgie esthétique ? Là encore, la contrainte sociale – souffrance de paraître en société – ou les difficultés maritales – trouver un conjoint ou répondre à un désarroi conjugal – appellent la permission selon la plupart des décisionnaires 8.
La finesse des raisonnements sur cette question bioéthique devenue classique reste empreinte de prudence devant le risque de surenchère, dans le rapport à soi et à son image, dans le rapport au donné providentiel. Pour autant, la souffrance l’emporte in fine sur ces considérations tant il est vrai que l’impératif d’écoute est bien présent sous la plume de ces maîtres.
La sagesse juive s’est donc moins préoccupée de traiter la question du corps, de son esthétique et de son image, que de répondre des injonctions bibliques face à l’image sociale du corps. Faut-il y voir une fâcherie épidermique et tenace trouvant son habitude dans la réduction de l’hellénisme à l’olympisme ? Le corps en beauté ne serait qu’une passion grecque – on occulte- rait ainsi passablement le logos – et devrait à ce titre être méprisé, oublié… Ou, au contraire, peut-on déduire de ce silence le souci de soustraire le corps à l’obéissance à une norme esthétique ? Ce serait admettre que l’idée ne gouverne pas le corps dans l’expression de sa forme. Mais qu’il reste objet de contemplation en tant que tel. Juif par la mère, disent certains, car issu puis détaché de son corps. Né du sensible, porteur de beauté immanente.
1. Selon l’intention ou la technique, on se rapprochera d’un des trente-neuf travaux proscrits ou de leur dérivé. La technique relèverait de « teindre », l’intention d’« oindre » dès lors que l’on cherche à pallier une sécheresse par exemple.
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2. Tour, Yoré Déah § 180
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3. Par exemple, cf. Rav Moshé Feinstein in Iguerot Moshé, Yoré Déah II, § 53
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4. Talmud de Babylone, traité Makot 21a
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5. Dans la suite de Maïmonide in Mishné Torah, Lois sur l’idolâtrie, 12:11. Rachi ibid. fait précéder l’écriture.
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6. cf. Avraham Steinberg in Nichmat Avraham, Yoré Déah, § 180,1
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7. cf. Rav Nathan Gueshtetner in , XVIII, § 72
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8. Par exemple, cf. Rav Ovadia Yossef in Responsa Yabia’ Omer, XVII, ’Hoshen Mishpat, § 12
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