SHAHARIT: “AL HET”, POUR LA FAUTE

Devant le registre grand ouvert :
על חטא שחטאנו לפניך באמוץ הלב

[Je lis Al Het dans le siddour de Kippour hérité de mon grand-père paternel, Jacques Pinhas (1878-1931). Il porte en sous-titre français, Prières des grandes fêtes à l’usage des Israélites du rite séfarad, traduction française de A. Créhange. Editeur, Léon Kaan, librairie Durlacher, 142, rue du faubourg Saint-Denis, Paris, 1925. Le volume est usé, il a servi. Mon grand-père et mon père, francophones et laïcs, ne l’ont pas eu souvent entre les mains. Ma grand-mère paternelle l’a lu toute la journée de Kippour, tous les ans de sa vie, jusqu’à sa mort. C’est sur la trace de leurs yeux, de leurs mains, d’une histoire qui s’étire sur trois siècles aux- quels j’appartiens, entre l’hébreu à droite et le français à gauche et mon regard qui va et vient entre les deux, que je lis al het]

Avant d’entamer le beau chant scandé des verbes à la première personne du pluriel, nous avons fauté, trahi, volé, etc., le texte hébreu dit : des malheurs nombreux nous ont entourés, nous nous sommes égarés et perdus comme un troupeau et pourtant, nous ne sommes pas revenus de nos erreurs, et comment oserions-nous, le visage effronté et la nuque raide, dire devant toi, Adonaï notre Dieu et Dieu de nos pères, que nous sommes justes, que nous n’avons pas fauté. Mais nous avons fauté. Nous et nos pères.
Un peu plus loin, le visage n’est plus effronté, ni la nuque, raide. Épaule contre épaule, les dos blancs et bleus courbés sous le poids d’une même responsabilité, la nuque fléchie devant une instance si abstraite qu’elle convient même à l’incroyant, une communauté humaine se fait humble et intime, dans la simplicité et l’économie intraduisibles de l’hébreu, dans ce « nous » murmuré, à la fois ensemble et seul à seul : ma nomar, ma nesaper, que dire devant toi, que raconter devant ta face que tu ne saches déjà, toi qui connais tous les secrets du monde et les moindres recoins de notre cœur et nos entrailles. Rachète, pardonne, absous, les fautes que nous avons commises devant toi, al het shé hat’anou lefaneikha.
Oui, de père en fils et fille et de siècle en siècle, malgré les malheurs qui nous frappent et nous atteignent collectivement, nous ne sommes pas victimes passives mais acteurs actifs dans le monde. Le martèlement des verbes le dit en hébreu: pa’al, poel, agir. Oui, nous avons fauté, nous et personne d’autre. C’est pourquoi ce jour-là, le plus terrible d’entre tous, nous ne croyons pas un seul instant que les portes du ciel s’ouvrent grand pour enregistrer nos jérémiades, ni que le shofar pousse son appel terrifiant pour chasser nos ennemis.
Devant le registre blanc grand ouvert, devant le son qui troue notre torpeur, nous sommes appelés à une vigilance sans pareil, à l’égal du ciel sans concession que nous avons placé au-dessus de nous et du cri archaïque qui nous interpelle à travers les âges jusqu’aux tréfonds de nous-mêmes. Une injonction au-delà de tout mot. Ni morale, ni légale, mais sacrée. Fais ce que tu as à faire sans tarder. Ensemble. Immédiatement.

  • Paul Bernard

SHAHARIT: DIEU SE MOQUE-T-Il DU JEÛNE?

C’est le matin de Kippour. Doucement, le manque de caféine, voire de nicotine, commence à se faire sentir. C’est même peut-être le moment le plus dur de Kippour, loin du début, loin de la fin.

Alors apparaît ce texte, la “haftara” du matin de Kippour dans laquelle Dieu semble moquer le jeûne de ses (in)fidèles. Paul Bernard, qui a livré pendant des années une “drasha”, une interprétation, pour Yom Kippour au MJLF, revient sur ce jeûne malmené.

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