Au-delà de la ligne verte

Territoires occupés/territoires libérés, Cisjordanie/Judée-Samarie, colonie/implantation… Utilisez tel ou tel mot, et on sait déjà dans quel camp vous vous trouvez.

Pour certains, je suis un colon, une voleuse de terres, le principal frein à la paix. Pour d’autres, je suis une pionnière, une libératrice, le bouclier d’Israël.

Territoires occupés/territoires libérés, Cisjordanie/Judée-Samarie, colonie/implantation… Jamais la sémantique n’a joué un rôle aussi crucial… Utilisez tel ou tel mot, et on sait déjà dans quel camp vous vous trouvez.

Et moi, au milieu de tout ce brouhaha, à qui on pose la question : pourquoi avez-vous choisi de vivre au-delà de la ligne verte ? Et qui ne sait pas répondre. Pas plus que je ne sais dire pourquoi j’ai épousé mon mari, ou même pourquoi j’ai fait mon alyah.

Parce que mes évidences ne sont pas toujours faciles à transmettre.
Parce que mes certitudes ne sont pas toujours énonçables.
Essayons pourtant.

Je suis née à Paris, en 1975, dans une famille assez éclectique : père ancien communiste, mère traditionaliste. La guerre des Six jours a été vécue, par mon père surtout, comme un véritable catalyseur : les titres des journaux, au premier jour de la guerre, qui prophétisaient la fin de l’État juif, l’ont profondément ébranlé et ont sûrement servi de terreau à son retour au judaïsme, deux ans après ma naissance.

J’ai donc grandi dans une famille où la Torah et le sionisme ne faisaient qu’un. Pas parce que c’était écrit dans les livres mais parce que c’était, là aussi, une évidence.

Mon alyah, très jeune, à 15 ans, seule, a été finalement l’aboutissement de mon éducation. Je n’allais pas en Israël pour vivre pleinement mon judaïsme – en tout cas pas uniquement pour cela – mais surtout pour écrire une nouvelle page de l’Histoire de mon peuple. Histoire qui commence il y a plus de 5 000 ans par les mots : « Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre… »

Cette terre, je l’ai aimée du premier regard. Le soir même de mon alyah, dans le tournant qui précède Jérusalem, j’ai vu ma ville ornée de lumière et d’or, et j’ai compris que j’étais arrivée à la maison.

Vivre en Samarie est la continuation directe de ce parcours.
Je vis en Samarie parce que c’est ici qu’ont été écrits les versets qui m’ont menée à cette terre. Je vis en Samarie parce que chaque route raconte l’histoire de mon peuple. Je vis en Samarie parce que j’aime ses paysages, j’aime les gens qui y vivent, j’aime les sons du matin et le silence du soir.

Non, je ne vis pas en Samarie pour spolier des Palestiniens. Il y a de la place ici pour tous. Non, je ne suis pas indifférente aux images difficiles en provenance des checkpoints qui, même si je les sais nécessaires à la sécurité de mon pays, mériteraient d’être repensés pour offrir aux Palestiniens un passage digne.
Non, je ne m’excuse pas de m’opposer formellement à la création d’un État palestinien, véritable suicide sécuritaire et dérive morale à mon sens. Oui, je pense que le statu quo ne peut plus continuer et qu’il faut chercher ailleurs que dans l’éternel paradigme « deux États pour deux peuples » la solution.

CETTE TERRE, JE L’AI AIMÉE DU PREMIER REGARD. LE SOIR MÊME DE MON ALYAH, J’AI COMPRIS QUE J’ÉTAIS ARRIVÉE À LA MAISON.

Contrairement à mes amis de gauche qui vivent à des kilomètres des « territoires », comme on dit, j’ai le mérite de côtoyer quotidiennement des Palestiniens. Pare-chocs contre pare-chocs, nous pestons de concert contre les interminables embouteillages qui ponctuent notre départ ou notre retour à la maison. Caddie contre caddie, nous faisons nos courses dans les mêmes supermarchés et nous nous conseillons mutuellement les meilleures marques de shampoing et les bonnes affaires de la semaine.

J’ai eu avec Imad, le promoteur palestinien qui a construit ma maison, des discussions interminables autour d’un café turc bien fort et surtout pas sucré, sur des thèmes aussi variés que l’éducation des enfants, les vacances, mais aussi la politique et la corruption qui règne au sein de l’Autorité palestinienne. Quand son fils est décédé, tombé par malheur d’une terrasse, je n’ai pas pu assister à son enterrement mais je lui ai parlé longuement après, essayant tant bien que mal de le réconforter. Individu face à individu. Mère face à père. Il n’est pas mon ennemi et je ne suis pas le sien.

Clermont Tonnerre disait : « Il faut tout refuser aux Juifs comme nation et tout accorder aux Juifs comme individus ». Les aspirations nationalistes palestiniennes sont naturelles. Mais elles vont à l’encontre de notre survie.

Leurs aspirations individuelles, par contre, doivent leur être accordées, le plus vite et le plus largement possible. Là aussi, il y va de notre survie.