Auschwitz appartient À l’histoire de France

L’historien Alexandre Doulut en compagnie de lycéens
devant la Judenrampe à Birkenau © Mémorial de la Shoah

Auschwitz,
lieu de l’histoire de France

70 000 Juifs de France, dont un millier du Nord-Pas-de-Calais (région rattachée au gouvernement militaire allemand de Belgique), ont été déportés à Auschwitz entre mars 1942 et août 1944. Parmi eux, 30 000 sont devenus des prisonniers d’Auschwitz ou de ses camps annexes et y ont « vécu » quelques semaines, quelques mois, voire plus de deux années ; 40 000 autres déportés juifs ont donc été assassinés dès l’arrivée. Bien moins nombreux, les 5 000 déportés « politiques » ou résistants ne doivent pas être oubliés pour autant : déportés du convoi des 45 000, déportées du convoi des 31 000, déportés du convoi des tatoués et, moins connus, déportés « Vosgiens » de la fin de l’année 1944. Enfin, près de 150 nomades arrêtés sur le sol français ont été déportés à Auschwitz, la plupart sans retour.

Pour les 70 000 déportés juifs, Auschwitz a non seulement été la destination, mais le plus souvent aussi le lieu de leur « décès ». Il serait ardu de chiffrer combien, parmi les 30 000 prisonniers juifs, ont été transférés dans un autre camp puis y ont péri ; il est encore plus délicat d’estimer combien n’ont pas survécu aux marches de la mort. En tout cas, sur les 66 500 Juifs de France non rentrés d’Auschwitz, on peut estimer à 50 000 au moins le nombre de ceux qui sont morts à Auschwitz et dans ses camps annexes. Sur les 5 000 « politiques », autour de 1 500 ont perdu la vie à Auschwitz. Davantage que simple destination des convois, Auschwitz est surtout le lieu de l’anéantissement des déportés.

En France, moins de 1 % de la population était juive en 1939, et la plupart des Juifs vivaient à Paris ; quelques foyers se situaient en province, entre autres à Bordeaux, à Marseille, en Alsace, en Lorraine et dans le Nord. Le repli des populations de l’Est vers l’Ouest et le Sud-Ouest en septembre 1939 et, plus encore, l’exode de mai-juin 1940 des populations de Paris et du Nord-Est, ont occasionné l’installation de milliers de Juifs dans le Sud. Enfin, des dizaines de milliers de réfugiés et d’expulsés originaires de Belgique, du Luxembourg, des Pays-Bas et du Bade-Palatinat se sont retrouvés internés ou assignés dans des centaines de localités en zone libre en 1940. Tous les départements de France comptent alors au moins quelques centaines de résidents juifs. Cela donne lieu à une dispersion géographique qui a été mesurée par Jean-Luc Pinol [lire à ce propos l’entretien page 10]. À l’appui du Mémorial des déportés juifs de France réalisé par Serge Klarsfeld, le chercheur a entrepris de compter le nombre de communes où ils étaient domiciliés. Pas moins de 3 000 communes sont concernées et pas un département n’est épargné. Il faut préciser néanmoins qu’un déporté sur deux était parisien et qu’environ 10 000 déportés juifs de France n’y habitaient pas en 1939.

Auschwitz,
lieu de mémoire française

Au-delà de ces éléments factuels et historiques, il faut souligner combien, aujourd’hui, le lien entre le lieu de l’arrestation des déportés, la France, et celui de leur assassinat, Auschwitz, s’est renforcé grâce à l’action des enseignants. Pour avoir accompagné régulièrement depuis 2005 des classes d’élèves français à Auschwitz, j’ai pu voir se multiplier les études locales ou biographiques. J’y suis d’autant plus sensible que l’appropriation individuelle de l’histoire des déportés par l’écriture de leur biographie est justement l’approche que Sandrine Labeau et moi-même avions choisie lorsque nous nous sommes plongés, voici plus de quinze ans, dans l’histoire des déportés juifs de Lot-et-Garonne. Là où en 2005, les enseignants préparaient leur voyage à Auschwitz autour de Si c’est un homme, autour de la notion de « devoir de mémoire », voire autour de la figure de Simone Veil, aujourd’hui ils choisissent de retrouver, en amont, des traces documentaires des déportés arrêtés près de leur lycée ou de leur collège. Souvent, cela passe par une recherche de documents, entre autres la photo du ou des déportés concernés, aux Archives départementales. D’une certaine manière, le Mémorial de la Shoah promouvait déjà cette approche en démarrant la visite du site d’Auschwitz-Birkenau par la Judenrampe, c’est-à-dire l’endroit où étaient « déchargés » les déportés juifs, y compris ceux de France, jusqu’à la mi-mai 1944. Implicitement, il s’agit de montrer prioritairement la continuité entre Drancy, d’où partirent la majorité des convois de déportés juifs de France, et le site qu’élèves et professeurs vont découvrir pendant la journée – assez curieusement, peu de visiteurs d’Auschwitz font un détour par ce lieu pourtant décisif.

Bien entendu, les élèves français n’ont pas tous, loin s’en faut, l’opportunité de visiter Auschwitz avec leurs professeurs, mais il reste possible de construire un cours sur la Shoah en employant la même entrée locale ou biographique. C’est par exemple l’une des missions que s’est fixées l’Association Convoi 77 : rédiger la biographie de tous les déportés du convoi [relire à ce propos l’entretien avec Georges Mayer, fondateur de l’Association Convoi 77 dans le hors-série de Tenou’a de 2020]. Grâce aux archives collectées et reproduites systématiquement depuis plusieurs années par l’association, les enseignants qui en font la demande peuvent avoir à leur disposition la quasi-totalité des archives disponibles pour tel ou tel déporté. Souvent, les professeurs qui s’engagent dans cette voie augmentent encore la connaissance sur ces déportés en dépouillant avec leurs élèves les archives locales. Cela donne lieu à l’écriture de biographies extrêmement riches qui sont ensuite consultables sur le site internet de l’association.

Plus d’informations sur les voyages d’étude à Auschwitz sur le site du Mémorial de la Shoah.

Redécouvrir le reportage avec des lycéens en voyage d’étude à Auschwitz-Birkenau publié dans le numéro hors-série de Tenou’a en 2016.

Consulter le site internet de l’Association Convoi 77.