Les histoires de genre ne m’intéressent guère. D’ailleurs pour tout vous dire je ne les comprends pas. Parfois, à lire certains articles qui traitent de la question, j’ai à peu près la même réaction qu’un goy confronté à une assiette de pkaïla ; une sorte de vertige à saisir ce qui gît exactement dans son assiette sinon une marée d’épinards aussi appétissante à contempler que le vomi d’un chat neurasthénique. À ce jour, j’ignore encore ce qu’intersectionnalité, non-binarité, genre fluide, ambisexualité, cisnormatif, personne allosexuelle, j’en passe et des meilleures, peuvent bien vouloir signifier. Comme si une langue hier encore inconnue avait fait irruption dans l’espace public sans prendre le soin de s’annoncer. À la parcourir, je me retrouve en classe de terminale quand le professeur de mathématiques dessinait sur le tableau noir des formes géométriques dont je ne comprenais même pas comment elles pouvaient exister. La géométrie dans l’espace et les théories du genre ont ceci en commun qu’elles sont compréhensibles aux seuls esprits versés dans ces disciplines. Pour les ahuris en mon genre, elles demeurent si opaques que parfois je dois appeler ma mère pour m’assurer qu’aucun docteur au monde n’a jamais décelé chez moi les chromosomes caractéristiques d’une personne atteinte de déficience intellectuelle. Que Dieu nous en garde, me répond-elle à chaque fois, à ta naissance, tu étais déjà si brillant que tu aidais les sages-femmes à remplir leur grille de mots fléchés.
Soit.
Il n’empêche, à force d’entendre parler de ces concepts de genre, j’en arrive parfois à douter de tout, de l’existence de ma queue – pardon maman, de mon membre – comme de mes rapports avec le sexe opposé. Suis-je vraiment le gardien de mon membre, m’interrogé-je tous les matins devant ma glace ou bien cet appendice circoncis qui s’agite entre mes cuisses n’est-il pas plutôt le fruit d’une domination patriarcale laquelle entretenue depuis si longtemps a fini par prendre les attributs d’une masculinité contraire à l’élan primitif de mon âme ? Cette faiblesse de caractère que j’ai parfois à l’heure de descendre les poubelles ne traduirait-elle pas le signe d’une oppression si longtemps intériorisée qu’elle aurait fini par renverser les paradigmes de mon identité, identité qui ne serait ni masculine, ni féminine mais plutôt un précipité des deux, une symbiose de deux contraires qui se compléteraient ? Suis-je donc moi m’exclamé-je en empoignant mes couilles traumatisées ou bien gît au plus profond de mon être un désir d’utérus que jusque-là j’ai tu de peur d’être ostracisé ? Généralement arrivé au sommet de cette hubris psychanalytique, j’entends des coups sourds frappés contre la porte de la salle de bains. C’est ma femme qui réclame de s’en servir. Timidement, j’entrouvre le verrou. Es-tu bien sûr que tu sois une femme, lui demandé-je en bloquant du pied le pas de la porte ? J’ai lu hier dans le journal que tu n’étais qu’une construction sociale, une personne déconstruite hantée par le désir de t’approprier les attributs de ma virilité. Du coup je m’interroge, qui ai-je donc épousé, la fille de ta mère ou le fantôme de ton père ? Un coup de pied dans les parties me ramène vite fait à des vérités plus prosaïques…
J’ai l’air de me moquer mais détrompez-vous, je suis on ne peut plus sérieux. À mes yeux, ce qu’on nomme théorie du genre m’apparaît comme une sorte de déréliction, de dérèglement philosophique qui dit tout des travers de notre époque. À savoir une surexposition du moi, d’un moi si autocentré, si perdu dans son individualisme, si empreint d’un égotisme affecté, qu’il en perd tout intérêt pour les interrogations qui depuis toujours ont inquiété le cœur des êtres humains. Comme si finalement la métaphysique des siècles passés avait laissé place à une sorte de cosmologie de l’identité, d’un désir de compartimenter l’essence de chacun en autant de particularismes dont il faudrait à tout prix célébrer la diversité. J’ai déjà beaucoup de mal à appréhender qui je peux bien être, à essayer de comprendre la raison même de ma présence sur cette Terre, à me situer dans la longue destinée de l’histoire humaine, à dialoguer avec un dieu lumineusement silencieux, pour en plus m’encombrer l’esprit de notions plus proches de l’art masturbatoire que de la pensée véritable.
Qu’une personne soit homosexuelle, pansexuelle, polysexuelle, intersexuée, grisexuelle, allosexuelle, demisexuelle, cisgenre, transsexuelle m’intéresse autant que de savoir si elle préfère manger ses pâtes al dente ou un peu plus cuites. À force de fragmenter l’identité de chacun, on en est venu à créer des catégories de genres qui font ressembler un individu à un produit marketing, une sorte de réclame dédiée à sa propre autoglorification. Avec en plus une sorte d’autoritarisme qui transforme ces individus en autant d’imprécateurs prompts à envoyer sur le bûcher quiconque oserait se moquer ou remettre en question les fondements même de leur personnalité. La théorie du genre et ses groupies n’autorisent aucun humour à leurs dépens, c’est dire l’étroitesse de leur esprit. Quiconque décrète le rire hors-la-loi, quiconque n’arrive même plus à se moquer de lui-même et de ses outrances, participe à un mouvement de pensée qui n’est plus très loin de celui d’un régime totalitaire.
Bon en même temps, en parlant de régime totalitaire, vous imaginez un peu le bordel, les infinies tracasseries administratives, si d’aventure la solution finale avait eu lieu de nos jours ? Himmler en aurait fait des cauchemars. Parce que bien sûr, hors de question d’entasser dans le même wagon, femmes, hommes et tous ceux qui ne se reconnaissent pas dans ces définitions genrées. Si bien qu’il eût été nécessaire de réquisitionner des wagons supplémentaires avec tout ce que cela suppose comme problème logistique. Une fois à Auschwitz, on aurait dû disperser tout ce beau monde en autant de rangées bien distinctes, ce qui aurait voulu dire plus de personnel, plus de chiens, plus de matraques. Et les douches, bon sang, les douches ! Quel casse-tête impossible. Il aurait fallu revoir toute l’architecture du camp, bâtir de nouveaux baraquements, multiplier à l’infini les règlements afin de ne créer aucune discrimination face à l’horreur au quotidien. Hitler en aurait perdu sa moustache, Goering son embonpoint, Goebbels, sa voix. Face à de tels problèmes d’organisation, les nazis auraient renoncé à la solution finale. Beaucoup trop compliquée à mettre en œuvre, auraient décrété les services de la Kommandantur. Sauvés, les Juifs auraient été sauvés de l’extermination !
Comme quoi, dans les théories du genre, tout n’est pas à jeter !