D’entrée, on est pris aux tripes, quand les deux “guerrières” qui présentent la soirée, Hanna Assouline et Sonia Terrab montrent un extrait de leur film documentaire sur le 7 octobre et ses suites. On y voit cette femme, dans une rue de décombres à Gaza, qui pleure et supplie: “Qu’est-ce qu’il s’est passé? j’étais partie chercher de la farine” – sous les décombres gisent son mari et ses quatre enfants. On y voit Meirav Gonen, la mère de l’otage Romi Gonen hurler le nom de sa fille dans un cri glaçant et terrifiant.
Voilà où nous en sommes, cette masse effroyable de souffrance, de mort, de terreur et d’absurdité. Sur la scène, neuf chaises, neuf activistes de la paix, palestiniens et israéliens qui vont se succéder au pupitre dans un discours sans concession, radical, loin d’une naïveté pacifiste, et porter haut la nécessité de les laisser parler et être entendus. “Ce n’est pas un appel, c’est un cri, un hurlement”, débute Nava Hefetz, rabbine indépendante et fondatrice de l’initiative GEOME (pour “Geopolitics and religion encounters in the Middle East”).
Rula Daood, “citoyenne palestinienne d’Israël” prend la parole avec assurance mais s’étrangle quand elle évoque sa famille, au même moment sous les bombes du Hezbollah, dans la ville de Kufr Yassif dans le nord d’Israël. Et c’est celui avec qui elle partage la direction du mouvement pacifiste Standing Together, l’Israélien Alon-Lee Green qui la réconforte et lui donne le courage de poursuivre: “Nous sommes ici parce que nous avons la conviction que nous n’avons pas le privilège de nous reposer et de ne rien faire, parce que Israël-Palestine, c’est chez nous”.
Tous, ils appellent à la libération immédiate des otages et à un cessez-le-feu. Maintenant. Ou plus que ça: depuis la Cisjordanie, en visio, Ali Abu Awwad, militant de la paix et de la non-violence et fondateur du mouvement Taghyeer, précise “Le temps est venu de mettre fin [à cette folie], pas juste par un cessez-le-feu, il nous faut un cessez-le-conflit, le temps est venu pour le monde de cesser de prendre parti pour un côté plutôt que pour l’autre”.
Abu Awad poursuit: “Parce que nous, Palestiniens ou Juifs, n’avons nulle part d’autre où aller, je crois que ces deux identités doivent être reconnues, respectées, pour créer la meilleure réalité politique possible. Je crois aussi que les deux parties savent parfaitement cela, mais nous sommes coincés avec ce traumatisme, avec cette douleur, avec ces stéréotypes et cette colère, nous sommes coincés avec ceux qui créent cette violence autour de nous.”
Chaque intervenant le martèle: “Nous sommes là pour parler de solutions” et rappelle un pré-requis incontournable: il est impossible de penser la sécurité des Israéliens sans penser la liberté des Palestiniens, ni la liberté des Palestiniens sans la sécurité des Israéliens. “Nous ne voulons pas d’une liberté qui serait bâtie sur des tombes juives”, affirme Abu Awwad qui ajoute que “le projet sioniste ne sera jamais accompli aux dépens de la liberté et de la dignité des Palestiniens”.
“Après chaque guerre, il y a des négociations. Pourquoi ne pas directement passer aux négociations?”, interroge Nava Hefetz. Reprenant à son compte les paroles de la chanson “Le Déserteur” de Boris Vian, elle déclame: “Depuis que je suis née, j’ai vu mourir des pères, des mères, des amis, j’ai vu partir des frères et pleurer des orphelins. Depuis que je suis née, j’ai connu plus de jours en guerre que de jours paisibles. Il en est de même pour mes voisins palestiniens”. Elle partage le pupitre avec Tahani Abu Daqqa, ancienne ministre palestinienne qui tente aujourd’hui, comme elle le peut, d’organiser les camps de déplacés et de réfugiés à Gaza. Au début de la soirée, dans le court extrait du film des Guerrières de la Paix, nous avions aperçu le visage de notre si chère Vivian Silver qui disait aux femmes venues la visiter quelques jours avant son assassinat par le Hamas: “Nous devons créer une nouvelle langue”. Abu Daqqa et Hefetz nous apprennent que, dans le camp de déplacés Zomi dans la bande de Gaza, la cuisine et l’espace communautaire portent le nom de Vivian Silver, “brûlée vive dans sa maison au kibboutz Beeri”. Lorsque les représentants du camp ont demandé à son fils s’ils pouvaient accrocher le portrait de sa mère dans le camp, celui-ci a répondu: “Je préfère que le nom de ma mère aide à nourrir les enfants de Gaza que de le voir sur un missile qui les tue”.
Chaque intervenant s’engage à ce que la voix de l’autre puisse être entendue, à ce que plusieurs voix d’une même histoire puissent coexister. En agissant contre la haine de l’autre, ces activistes sont souvent qualifiés de “traîtres” par leur propre peuple. “Comme l’a dit Camus : je veux aimer à la fois la justice et mon pays”, revendique Jonathan Hefetz, activiste et directeur de l’association Seeds of Peace. Rappelant les rencontres de jeunes Israéliens et Palestiniens dans le cadre de son organisation l’été dernier, il affirme: “En seulement deux semaines, ces jeunes de 16 ans ont accompli plus que ce que mon gouvernement a fait ces 20 dernières années (…) Si en temps de guerre, ces jeunes peuvent être les uns avec les autres, alors peut-être avons-nous, ensemble, un avenir meilleur. (…) Et pour vivre ensemble, nous devons reconnaître la douleur l’un de l’autre”. Celui qui porte un t-shirt à l’effigie de Karina Ariev, jeune otage de 19 ans toujours retenue à Gaza, nous enjoint: “N’ayez pas peur ni des Ben Gvir ni des pseudo-politiciens français qui utilisent la guerre pour leur propre avenir”.
Ibrahim Abu Ahmad qui, avec Amira Mohammed a créé le podcast “Unapologetic, The Third Narrative”, interpelle les Occidentaux: “Nous sommes ici pour vous dire aujourd’hui que vous avez un rôle à jouer, mais le rôle qu’a joué l’Occident jusqu’ici a été un rôle de plaidoyers, d’un camp contre un autre. Et nous avons besoin de votre aide, nous avons vraiment besoin de votre aide, et cela ne peut pas être de choisir un camp (…), nous avons besoin que vous exigiez de vos gouvernements de faire pression pour mettre fin, pas uniquement à cette guerre, mais à ce conflit, une fois pour toute.”
Maoz Inon, entrepreneur et militant pour la paix, débute par une blague, de l’auto-dérision sur son âge et, soudain, son visage se ferme: “J’ai perdu mes deux parents le 7 octobre”, dit-il tout en enlaçant son camarade Aziz Abu Sarah, auteur, artisan de la paix et entrepreneur palestinien dont le frère a été tué il y a longtemps. Pourtant, il continue à garder espoir: “L’espoir est un acte. Nous bâtissons l’espoir ensemble, en embrassant la vision d’un futur meilleur et en agissant pour faire de ce futur une réalité (…). D’ici 2030, tous ensemble, nous récolterons la paix ‘from the river to the sea’”. Abu Sarah complète : “Nous ne sommes pas ici sur cette scène pour débattre ou nous disputer. Je regarde les Israéliens sur cette scène: ce sont mes amis, c’est ma tribu, c’est ma famille. Nous sommes l’antidote à l’extrémisme, (…) nous sommes la génération qui apportera la paix”.
Et notre rôle ? Ils invitent le public à faire vivre la nuance, la complexité, à refuser d’appartenir à un camp. Ils appellent aussi les Européens et leurs gouvernants à se réveiller pour faire pression sur les dirigeants de la région. “Il s’agit aujourd’hui de se battre pour vivre ensemble, pas survivre ensemble”, résume Jonathan Hefetz. “Utilisons notre colère pour changer les choses (…). Quand vous quitterez cette salle, demandez-vous ce que vous pouvez faire, comment vous allez amplifier les voix de tous ceux qui sont sur cette scène”, conclut Abu Sarah.
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