
Après le 7 octobre, comment a évolué le monde du burlesque en France, monde dans lequel vous évoluez professionnellement? Dans quelles mesures était-il possible de parler, de performer autour de ce que vivent les Juifs de France?
Après le 7 octobre, j’ai ressenti le besoin de créer un numéro d’effeuillage sur le sujet des violences sexuelles dont ont été victimes les femmes israéliennes. Dans les scènes ouvertes où j’avais l’habitude de performer, aucun mot n’a été prononcé au sujet des Israéliennes alors que c’est un milieu très engagé sur le plan des droits des femmes. De la même manière que dans la majorité des milieux queer et féministes.
J’ai donc pris l’initiative d’en parler dans un numéro d’effeuillage. Au début, je danse, je représente la vie avant la tragédie, avant que tout ne s’effondre. Puis, le son des sirènes brise l’insouciance, je dévoile alors une culotte couverte de sang, j’allume une bougie en hommage à des amis d’amis assassinés ce jour-là et je dis leur nom. Pour conclure, je brandis mon T-shirt blanc en signe de paix, un geste accompagné de l’Hatikvah. Je ne sais pas comment ce numéro a été reçu, j’étais très concentrée, je ne pensais qu’à aller au bout. Et j’ai reçu peu de retour de la part du public. J’ai découvert plus tard que les organisatrices n’avaient pas partagé ma performance sur leurs réseaux sociaux alors que toutes les autres performances avaient été relayées. Je n’ai pas vraiment su pourquoi.
J’ai ensuite souhaité monter un numéro sur l’antisémitisme qu’aucune scène ouverte n’a accepté de programmer. On m’encourage plutôt à venir présenter mon numéro hommage à Élie Kakou, enfin, à son personnage de Fortunée qui tente de se défaire des carcans de son héritage familial. Comment ces milieux militants, d’ordinaire, très bruyants quand il s’agit de lutte contre les racismes, peuvent-ils m’inciter à une telle prudence, pour ne pas dire à un tel silence?
Comment est née l’idée de créer, d’inventer un cabaret juif? De réunir des artistes sur scène autour de la fête de Pessah?
Bien que l’on puisse penser que c’est une idée folle, nous n’avons rien inventé, les cabarets juifs existent depuis longtemps et sont présents à New York, à Londres et à Paris (un cabaret juif et queer). D’après l’ouvrage “Marx Erlich, le théâtre contre la barbarie” de Brigitte Sion, le cabaret juif existait aussi en résistance au régime et à la barbarie nazie.
En octobre 2024, j’ai passé un mois en Israël et le heureux hasard m’a permis de rencontrer les artistes du Cabaret Dead End, né à Mitzpe Ramon en 2023. Après le 7 octobre, ses créatrices ont monté un cabaret pour parler de l’actualité en Israël, par le prisme de la chanson, de l’humour, du cabaret, de l’art … pour apporter du réconfort à une société en souffrance.
De retour en France, j’ai constaté qu’il n’existait pas d’espace dans lequel des artistes juifs peuvent parler librement et en sécurité de leurs histoires, de leurs identités, de leurs pratiques. Et, en même temps, j’ai observé que beaucoup de Juifs de France vivent douloureusement l’actualité. Peut-être que ce cabaret juif pourra-t-il leur permettre de se réapproprier leur identité juive et de la célébrer. Et puis Pessah me semble la fête idéale pour se lancer, parce que c’est la fête de la libération. Le cabaret, dans son essence, est un espace où l’on peut créer librement, s’interroger sur le monde et, en même temps, oublier les problèmes du quotidien. Aussi, c’était important qu’on ait un fil conducteur, qui relie chaque numéro, indépendant des uns des autres sur scène.
En quoi consistera ce “Shakshukabaret”, ce cabaret juif organisé dans un lieu culturel comme l’ECUJE?
Ce cabaret réunira des artistes, dont certains sont imprégnés de la culture des cabarets yiddish, des humoristes, des performers issus du burlesque et du drag: à l’image des 1001 recettes (et orthographes) de la shakshuka, c’était important de mêler une diversité de disciplines pour que notre public puisse découvrir d’autres histoires, s’interroger et peut-être s’ouvrir à d’autres identités et façons de vivre son judaïsme/sa judéité.
De mon côté, je pratique ce que l’on appelle l’effeuillage burlesque, il s’agit de faire appel à l’art du strip tease pour raconter une histoire. Mais, je m’inscris dans la tradition du néo-burlesque, ce qui veut dire que je m’émancipe des codes de l’hyper-féminité, des pin-up hyper gracieuses. Je compte donc mettre en scène une femme juive qui, cette année, se libère du ménage de Pessah, rituel auquel elle se soumet chaque année. En 2025, mon personnage sort de son rôle, envoie tout valser et dénonce la charge mentale, l’inégale répartition des tâches dans le foyer, se rebelle face à l’idéal de “la fille à marier”, de “si tu fais pas ça, tu finiras toute seule”.
D’autres artistes considèrent ce cabaret comme le lieu d’une réappropriation de leur identité juive qu’ils avaient mise en sourdine et qui revient depuis les récents événements en Israël et l’explosion de l’antisémitisme en France et ailleurs. Ce sera également l’opportunité pour leur entourage non juif de comprendre, peut-être, ce qu’il ou elle traverse. Tobias, par exemple, viendra en clown nous raconter l’histoire de Pessah, qui se mélange à celle de Pâques: matsot ou œufs en chocolat, le choix est vite vu pour lui. Noga, danseuse israélienne expatriée en France, prépare un numéro autour des ruines d’une pyramide afin de se reconnecter à ses racines à travers la résilience. Comme le résume l’humoriste Shoshana Bloomberg, qui nous parlera du “dating frum”, il s’agira de faire tomber les masques et peut-être, d’en mettre d’autres.
Comment jouer devant un public juif, est-ce quelque chose que vous appréhendez?
Je suis à la fois très heureuse de partager ce moment de célébration des identités juives avec un public qui ne connaît pas forcément toutes les disciplines présentées et, en même temps, je vais avoir besoin de dépasser mon sentiment de pudeur pour jouer le jeu de l’effeuillage face à un public qui pourrait me paraître familier.
Propos recueillis par Léa Taieb
Informations pratiques:
Jeudi 27 mars à 20h30 à l’ECUJE
Inscriptions: ici
Plus d’informations sur le compte Instagram de l’événément : @shakshukabaret