Anne Sinclair avait juré qu’elle ne se prêterait pas « à ce petit jeu narcissique » des Mémoires de journaliste. Elle a finalement « mangé son chapeau », comme elle dit, et profité du confinement pour écrire. Passé composé se lit comme une « grappe de souvenirs », comme le témoignage d’une époque que cette amoureuse de la vie a traversée aux premières loges. De son enfance heureuse dans le xvie arrondissement, adulée par son père, bercée par l’opéra, la musique et la lecture, à l’apogée de sa gloire à TF1 en passant bien sûr par l’affaire du Sofitel, elle s’y raconte avec pudeur, retenue, elle qui ne s’« estime pas assez pour être sûre » d’elle. Celle qui anima treize ans durant l’émission la plus regardée de France (jusqu’à 13 millions de téléspectateurs), revient sur les moments forts qui ont marqué l’histoire du petit écran : Gainsbourg, brûlant un billet de 500 francs en direct sur le plateau, Delors annonçant en 1994 qu’il renonçait à briguer la présidence ou encore Gorbatchev, au Kremlin, juste avant la dislocation de l’URSS et sa démission fin 1991. Elle dit aussi ceux qu’elle n’a jamais voulu recevoir, Jean-Marie Le Pen, Saddam Hussein ou encore Bokassa. Elle y assène quelques coups de griffe. À Silvio Berlusconi pour le grotesque de la situation, le jour où il se mit à genoux pour lui proposer une Ferrari et des millions pour qu’elle rejoigne La Cinq. À Lionel Jospin au sujet duquel elle évoque « l’histoire d’un grand malentendu » avec la France. À Patrick Le Lay pour son « délire antisémite » au moment de la renvoyer de TF1 : « Vous êtes comme Paul Amar, des marchands de tapis ! Vous êtes tous les mêmes ! ».
Anne Sinclair aborde les différents aspects de son identité. « Femme, mère, française, juive, de gauche, journaliste. Et plutôt dans cet ordre », écrit-elle. « Française, je le suis jusqu’au bout des ongles, avec le judaïsme comme complément identitaire. Les deux caractéristiques sont pour moi inséparables », confie-t-elle. « Je serais devenue une « israélite » comme beaucoup dans la génération précédente, s’il n’y avait eu la guerre des Six jours, et la révélation de la Shoah, qui firent de moi une juive consciente de l’être », ajoute Anne Sinclair, sans qu’Israël soit « pour autant au centre de mon identité ».
Dans le panthéon personnel d’Anne Sinclair, figurent bien sûr François Mitterrand, avec ces moments de complicité à Château Chinon, jusqu’à la révélation de la francisque en 1994 ; Pierre Mendès France, qu’elle admire pour sa droiture et son intransigeance, dont elle n’oubliera jamais les larmes d’émotion le jour de l’intronisation de Mitterrand en juin 1981 lorsque le nouveau président serra son ami dans ses bras. On trouve aussi Michel Rocard, Simone Veil ou encore Simone Signoret.
Ceux qui auront acheté ses Mémoires pour son fameux « chapitre impossible » devront attendre la fin du livre. Des révélations, il n’y en a pas. Elle évoque ce « séisme qui a dévasté [sa] vie ». « J’ai vu ma vie déchiquetée, dépecée, exposée, interprétée », écrit-elle. Elle raconte l’histoire d’amour avec DSK. « Séduisant, brillant, amoureux, il m’a arrachée à mon rocher tranquille et j’ai aimé cette force qui m’emportait », raconte-t-elle. Anne Sinclair dit aussi son égo blessé (« Mais je ne l’épatais pas, quoi que je fisse ») et l’« emprise » qu’il exerçait sur elle. Évoquant ses adultères, elle martèle : « je n’ai pas voulu voir, j’ai baigné dans le déni ». Anne Sinclair tient aussi à clarifier : « je n’ai jamais souhaité le voir accéder à l’Élysée. Au contraire, je le craignais ». Passé composé se clôt par sa « renaissance » et par un pèlerinage à Westhoffen, le village de la famille de sa mère, et un hommage à ses aïeux. La boucle est bouclée.
Keren Lentschner-Kanovitch
Quand M. Lentschner m’a invité à rédiger un article sur le livre Vous n’aurez pas les enfants, je fus tout de suite partagé entre deux sentiments : un sentiment d’illégitimité… mais aussi un immense enthousiasme à l’idée de faire connaître le travail exceptionnel de son auteure, Valérie Portheret.
Certains historiens nous font vivre l’histoire par le haut, à travers les dirigeants qui en furent les metteurs en scène, à travers des chiffres aussi terrifiants qu’abstraits, à travers des dates clefs. D’autres historiens, comme Valérie Portheret, nous font vivre l’histoire par le bas, à travers le témoignage d’hommes et de femmes qui en furent les acteurs…
Quand on ouvre un livre où un des acteurs principaux porte le même nom de famille que le sien, on est à la fois très heureux de découvrir la véritable histoire d’une légende familiale et en même temps terrifié à l’idée d’être confronté à une réalité qui sera peut-être différente. Ce livre m’a permis de rencontrer un ancêtre qui a participé, avec d’autres, au sauvetage de 108 enfants juifs… Valérie Portheret ne nous parle pas de chiffres ou de dates. Valérie Portheret a passé 25 ans de sa vie à récolter les témoignages de ces survivants, les hasards qui les ont amenés dans ce camp de Vénissieux, ce qu’ils ont vécu, ce qu’ils ont ressenti, leurs destins, leurs souvenirs, leurs blessures indélébiles. Ouvrir un livre comme Vous n’aurez pas les enfants, c’est découvrir des personnes a priori très banales : un étudiant étranger, ou encore un père et sa fille qui déménagent après un divorce… à une exception près. Ils étaient Juifs et nés avant la guerre… Et leurs parents ont eu quelques minutes pour les abandonner à des inconnus dans l’espoir qu’ils n’aient pas le même destin funeste que le leur.
Quand on ferme un livre comme Vous n’aurez pas les enfants, et qu’on porte le nom d’un Juste parmi les nations, on hérite d’un devoir de mémoire et du lien qui s’est créé entre cet ancêtre que l’on n’a pas connu et ces rescapés qui ne sont plus des chiffres ou des noms, mais des visages et des vies.
J’ai choisi le métier d’architecte par passion pour l’Histoire. L’architecture, ce n’est pas que des murs qui nous protègent, ou nous enferment… ce n’est pas qu’un décor. L’architecture, ce sont des livres d’Histoire à ciel ouvert, qui racontent les rêves de ceux qui les ont conçus mais aussi les vies de ceux qui y sont passés. Grâce à des historiens comme Valérie Portheret, les murs ne sont plus invisibles pour celui qui se rendra à l’emplacement de l’ancien camp de Vénissieux.
Le livre de Valérie Portheret, est un magnifique travail de résistance face à l’oubli. Si des hommes et des femmes ont risqué leurs vies pour sauver des juifs pendant la guerre, il faut sauver aujourd’hui de l’oubli ce pour quoi ces justes ont risqué leur vie, la barbarie zélée qu’ils ont combattue, la préciosité de chaque individu sauvé mais aussi le drame qu’ils ont vécu. Le travail de Valérie Portheret est « juste ».
Pierre-Louis Gerlier
La présence juive sur le territoire de la France actuelle est attestée dès le premier siècle avant l’ère commune, date de la romanisation de la région de Narbonne. Mais peu de vestiges archéologiques ont été mis au jour pour étayer les documents historiques qui signalent cette présence, peut-être antérieure à la conquête romaine : le plus ancien est une lampe à huile marquée d’une double menorah, trouvée à Orgon, dans les Bouches du Rhône, en 1967. Plus tard, il y a le trésor de Colmar, la synagogue de Rouen, ou la genizah de Dambach-la-Ville.
Dans cet ouvrage richement illustré, Paul Salmona propose plus qu’un état des lieux de l’archéologie du judaïsme en France : un champ chronologique de l’Antiquité jusqu’à nos jours, une étendue géographique couvrant tout l’Hexagone, des exemples nombreux de culture matérielle qui passe notamment par les objets rituels, les objets du quotidien, les manuscrits et livres, les stèles funéraires et les ruines d’édifices.
Tout en présentant généreusement ces richesses tant visuelles que documentaires, Paul Salmona fait aussi le constat que le patrimoine archéologique juif français, surtout le plus ancien, reste largement ignoré de l’historiographie, l’enseignement, la protection du patrimoine et les musées. Gageons que cet ouvrage éveillera la curiosité du grand public tout en motivant les scientifiques et les professionnels du patrimoine à s’intéresser davantage à l’archéologie du judaïsme en France.
Brigitte Sion