Tenou’a Vous vous définissez comme une conteuse, une conteuse visuelle, pas avant tout comme une artiste graphique, quel sens cela a-t-il pour vous ?
Livia Papiernik Ma pratique artistique englobe toutes sortes de techniques et de matériaux et s’exprime à travers de vastes installations, des projets communautaires, le feutrage, le patchwork, la peinture, auxquels j’ajoute la broderie. Mais ce qui transparaît dans tout mon travail, ce sont les histoires que je raconte. Ces dernières années, à travers ces histoires, j’oriente ma création artistique de sorte à éveiller mon bien-être mental. Et je m’attache à ce que mon travail offre aux autres un espace ouvert qui leur permette de se connecter à leurs émotions. Je suis convaincue qu’en partageant nos histoires et celles de ceux qui ne peuvent pas le faire, nous avons le pouvoir de mettre en perspective les problèmes de notre société et de nous lier plus fortement les uns aux autres. Donc je me définis comme une conteuse visuelle qui cherche toujours à créer un art ouvert, honnête et stimulant.
T Parmi les matériaux que vous affectionnez, l’un de vos préférés est le textile, et plus précisément la broderie. Pourquoi le tissu, les aiguilles et le fil sont-ils de bons outils de votre expression artistique ?
LP La broderie a une incroyable histoire de « conteuse », particulièrement comme outil d’expression pour les femmes qui luttaient sans que leur voix ne soit entendue. Lorsque j’utilise la couture dans mon travail, je me sens en connexion avec la beauté et la force qu’une simple aiguille a pu offrir à des milliers de femmes à travers les âges. Les histoires dont je parle portent souvent des sujets difficiles, et la broderie apporte un élément intime et féminin qui rend souvent plus aisée la discussion, que ce soit pour moi ou pour le spectateur.
Mon amour des tissus, des fils et des textures vient d’une nostalgie rassurante de l’enfance. Les enfants sont souvent entourés de toutes sortes de tissus et de couleurs et explorent en permanence ces textures par le jeu. Quand je suis entourée de ces matériaux, je replonge dans ce temps de naïveté bienheureuse et d’optimisme qui m’aide à m’extraire de la pression sociale et de l’anxiété.
T Le textile et le conte se rencontrent de façon intéressante lorsque vous réalisez, sur demande, des tallits [châles de prière] personnalisés. Qu’est-ce qui vous plaît dans l’idée de créer le tallit qui correspond à un individu particulier ?
LP Un tallit est un objet si précieux que je suis très touchée lorsque quelqu’un me demande de personnaliser le sien. Lorsque je crée un tallit sur mesure, je m’attache à créer un lien entre l’histoire personnelle de mon client et l’histoire du judaïsme, comme un héritage et un témoignage historique des vies juives individuelles. J’aime entendre les histoires que mes clients partagent avec moi, leur lien et leur attachement à la religion. Le tallit que je fabrique alors devient de l’art-à-porter qui reflète leur personnalité. Et j’espère qu’ils se sentent fiers de qui ils sont et plus forts lorsqu’ils le portent.
Propos recueillis et traduits par Antoine Strobel-Dahan