Derrière chaque nom, un être humain

ÉTAPE 1: LE NOM DE SRUL RUGER SUR LE MUR

© Ethel Buisson

Mémorial de la Shoah, Paris

Enfant, adolescent, partout où j’allais en France, dans chaque ville, dans chaque village, je rencontrais un monument aux morts. Sortant de la Shoah où j’avais perdu un père qui n’avait pas encore 40 ans, j’étais sensible à ces listes où si peu de prénoms et de patronymes étaient étrangers. Un peuple de millions d’hommes, Français de 20 à 40 ans, avait été assassiné par la guerre franco-allemande et cette catastrophe me rappelait la tragédie que j’avais vécue et où un tiers du peuple juif avait été assassiné par les Allemands.

Plus tard, bien plus tard dans les années soixante-dix, quand je fus certain que je parviendrai à faire juger à Cologne les responsables de la Solution finale en France, je décidai que seraient présents à ce procès historique non seulement des centaines de parties civiles, non seulement des milliers de juifs français, mais aussi les dizaines de milliers de victimes de la Shoah en France: j’ai donc élaboré et publié le Mémorial de la Shoah. Cet ouvrage, monument de papier, a provoqué un choc profond dans la communauté juive française et au-delà. Nous avons obtenu à Cologne le jugement espéré et les Fils et Filles des Déportés regroupés autour de Beate* et de moi se sont engagés à édifier en Israël un monument portant toutes les pages de notre Mémorial, tous les noms des victimes. Ce fut chose faite le 18 juin 1981 à Roglit surplombant la vallée de Ha Ela où David combattit goliath.

Vingt-quatre ans plus tard, le Mur des Noms a été élevé au Mémorial de la Shoah à Paris. C’est un monument de piété qui impressionne car il évoque l’immensité du crime; mais à la différence de Roglit, il ne comporte aucune lecture historique et ne rassemble pas les membres d’une même famille. J’ai toujours dit qu’il suffit de pointer n’importe quel nom pour que l’on se rende compte que derrière ce nom, il y avait un être humain avec son histoire familiale, son visage et son parcours jusqu’au jour où la haine antijuive l’a rattrapé et l’a détruit. Aujourd’hui, les recherches entreprises à tous niveaux permettent cette identification d’un nom à un dossier et à une personne bien précise qui a été l’une des six millions. grâce au numérique, toutes les données enregistrées au sujet d’une victime de la Shoah sont rassemblées systématiquement à Yad Vashem et aujourd’hui ce ne sont pas seulement 4,3 millions d’états civils qui se font suite alphabétiquement mais bien 4,3 millions d’hommes et de femmes pour qui les documents réunis à leur sujet témoignent qu’avant d’être assassinés, ils ont vécu, ils ont aimé, ils ont travaillé, ils ont souffert ; ils ont une histoire et un destin. Ils n’ont pas été jetés dans la poubelle de l’histoire.