#diaspora

© Elena Ceretti Stein, Venus in water (from “Vivarium”), 2022.
Clay, water, sand, perspex, glass, algae, bacteria, 120x25x25 cm.
Photo by Daniel Hanoch – Courtesy of the artist and Braverman Gallery, Tel Aviv

le sort entre nos mains

Dan et Ruben jouent les rebelles ces derniers temps. Depuis notre arrivée à Kyo il y a six mois, j’ai l’impression qu’ils nous font payer à Lisa et moi notre décision.

Je leur dis souvent qu’ils ont une chance incroyable d’avoir pu partir avant que la situation ne se détériore, d’autres n’ont pas eu ce luxe. Ils boudent, ça leur passera. En attendant, ils se réfugient des heures durant dans Planet-B sous les traits d’avatars débiles. J’enrage de les voir ne s’intéresser à rien d’autre. Tout notre entourage devise sur « la formidable faculté d’adaptation des enfants ». J’essaie de toutes mes forces de m’en persuader.

Parfois, je me dis que je devrais partager plus de choses avec eux, me mettre à leur niveau, ne pas seulement jouer les patriarches revêches. Le temps passe, je le regretterai peut-être… Ces jours-ci, je délaisse tout le monde de toute façon. Lisa ne se prive pas de me le faire remarquer. L’inauguration du Centre communautaire approche et m’absorbe totalement. Soixante nouvelles familles juives sont arrivées en quelques mois. La campagne North Is Beautiful bat son plein au Sud de la confédération aspirant tous les jours son lot de candidats à l’immigration. Hideux site industriel il y a à peine vingt ans, on se demande comment Kyo a pu devenir si vite la dernière utopie à la mode.

Tout le monde espère que l’édifice prendra vie pour Pourim. L’inaugurer dans l’atmosphère joviale du carnaval juif, ça aurait de l’allure. Je tente de garder mon calme. On est à un mois de l’évènement et le mobilier n’a toujours pas été livré. Le spectacle d’ouverture approche. Inutile de dire que nous ne sommes pas prêts. Dan et Ruben doivent jouer dans The Masquerade, une version remaniée de la fable d’Esther. Il faudrait s’activer, commencer les répétitions au plus vite. Pourquoi faut-il toujours s’y prendre à la dernière minute ? Pour ne rien arranger, Ruben a été tiré au sort pour jouer Mordekhaï, l’un des rôles principaux. Il est d’une timidité maladive, je crains le pire. Je suis sûr que les Elbaum et les Rivkin, eux, sont prêts. C’est le genre de famille disciplinée qui planifie tout.

Ce qui devait être une simple pièce de théâtre prend des proportions folles. J’ai passé de longues soirées avec Yoram, le futur responsable du Talmud-Torah à réécrire les dialogues. On redoutait la réaction des parents et des autres communautés de la ville. Le récit d’une extermination programmée ne risquait-il pas de traumatiser nos enfants déjà marqués par l’exode en cours ? On a fini par supprimer certains épisodes embarrassants pour ne conserver que l’esprit du carnaval. À la fin, Haman ne sera pas pendu, les ennemis d’Israël ne seront pas passés au fil de l’épée. Cela faisait vraiment trop revanchard. La seule chose que l’on pendra sur scène c’est une piñata remplie de sucreries pour ravir les enfants à la fin du spectacle.

Un mois à tenir puis ce sera la délivrance. Les malheurs millénaires d’Israël ne sont rien comparés aux journées qui m’attendent