Dieu a-t-il de l’humour?

TRIBUNE DE MICHEL KICHKA CARICATURISTE EN ISRAËL, MEMBRE DE CARTOONING FOR PEACE

© Michel Kichka

À quelques semaines des assassinats à Charlie Hebdo et à l’Hyper Cacher, je rassemble mes esprits pour une réflexion sur l’humour, et pas n’importe lequel : celui de Dieu qui, parce qu’il est tout-puissant, a peut-être, dans sa grande miséricorde, tout pardonné ! Car moi, je n’en suis pas capable. Je ne peux appréhender la question de l’humour de Dieu sans penser à mes compagnons de crayon qui étaient aussi mes frères de coeur et de combat, puisque la liberté d’expression est un espace à reconquérir chaque jour.

OÙ EN ÉTAIS-JE? AH OUI, DIEU A-T-IL DE L’HUMOUR?

S’il n’en avait pas il aurait créé l’homme parfait. Mais puisque, comme d’aucuns le pensent, il l’a créé à son image, il est doté d’un sens aigu de l’autodérision. D’autant plus qu’il est le premier à savoir que les religions sont des idéologies et des modes de pensée, on pourrait presque dire des philosophies, qui proposent des réponses à des questions existentielles qui n’en ont pas. Son humour est donc essentiel à une relative réussite de notre épisode terrestre, avec, au pire, la promesse d’une vie meilleure dans l’au-delà. Dieu est un concept abstrait, immatériel et spirituel. Ses écrits « saints » sont l’émanation de mortels qui les ont décrétés sacrés. Il est l’inconnue d’une équation sans réponse rationnelle. Il est l’axiome d’une croyance binaire. On y croit ou on n’y croit pas. Ça ne peut se démontrer.
Les religions ont tenté de permettre à l’Homme de s’organiser en société codifiée pour créer ce qu’on appelle communément une civilisation. Mais les religions ont été, et sont encore, le moteur de toutes les guerres, de tous les massacres, de la conversion par le sabre, de l’inquisition, de la chasse aux sorcières, de la Shoah. Elles offrent à l’Homme le meilleur comme le pire sans toujours lui laisser le choix. Si la religion est l’opium du peuple, les idéologies modernes n’ont rien à lui envier. Dieu n’est pas une certitude, mais je suis certain qu’il condamne les actes de terrorisme perpétrés en son nom. Dans ce cas, il a dû regretter plus d’une fois d’être venu au monde.
S’il est miséricordieux, comme le croient les croyants, il doit rire dans sa barbe en voyant les caricatures qui le fustigent.

Mon père m’a toujours dit que Dieu était mort à Auschwitz. Il ne l’a pas vu de ses propres yeux mais il en a la certitude.
Je suis donc non-croyant mais pas antireligieux. Je fais de mon mieux pour être libéral, pluraliste et démocrate. C’est un travail de tous les jours. La laïcité est le garant de la liberté de culte. Car chaque religion porte en elle quelque chose de total, donc de totalitaire.
Si Dieu existe et qu’il voit tout de son nuage, il doit éclater de rire pour ne pas pleurer. Les caricatures ont pour lui un rôle thérapeutique, elles l’aident à évacuer et à sourire, parfois à rire. Et il en a bien besoin car il est constamment sous pression face à ses trop lourdes responsabilités. Il voit dans l’humour une incarnation de l’esprit, terme qu’il adore puisque spirituel est un mot à un double sens.

J’en viens à la caricature que je présente ci-dessous. Celle-ci a été réalisée suite aux tensions internes au sein du parti Shass, le parti orthodoxe séfarade israélien. Les luttes intestines entre Déri et Yshai pour l’accès au trône sont âpres. Déri dépose une pseudo-démission tactique alors que Yshai crée son propre parti. J’ai choisi, pour illustrer les faits, de parodier le célèbre MichelAnge, parce que cette image s’est instantanément imposée à moi. Les deux protagonistes sont tellement nus à mes yeux dans leur médiocrité politicarde, qu’ils en deviennent presque transparents. Tous deux se réclament l’élu de leur père spirituel, le défunt Rav Ovadia Yossef. Et puis choisir ce chef-d’œuvre chrétien de la Renaissance qui plane au-dessus de la kippa du Pape quand il fait les cent pas dans la Chapelle Sixtine, me paraissait un choix judicieux.

© Michel Kichka

Un ami religieux traditionaliste m’a confié que le dessin était irrévérencieux mais a reconnu qu’il le faisait rire. J’ai beaucoup aimé sa réaction mais je lui ai immédiatement rétorqué que ce dessin était triplement révérencieux.

Primo, j’ai rendu hommage à Michel-Ange en lui donnant tout le crédit qui lui revient de droit. Secundo, j’ai dessiné Ovadia en Dieu, ce qui devrait plaire aux électeurs du Shass qui le vénèrent, le pleurent, l’adulent et l’idolâtrent.
Tertio, j’ai eu la délicatesse de circoncire Déri, contrairement à l’Adam de la fresque originelle qui a conservé l’intégralité de son prépuce.

J’entends d’ici le rire de Dieu qui arrive par échos successifs. Lui comprend très bien que ce n’est pas de lui que je me moque mais bien de ceux qui instrumentalisent sa bonne parole et en constituent leur fonds de commerce avec une concupiscence inassouvie.

Quant à la taille du membre, elle a été dessinée dans le strict respect de l’œuvre du grand maître. Aucune insinuation voulue sur la taille du pénis qui excuserait la démesure de l’ambition.

Michel Kichka est notamment l’auteur de 2e Génération, ce que je n’ai pas dit à mon père (Dargaud, 2012). Il est membre de Cartooning for Peace. Plus d’infos et de dessins sur fr.kichka.com

© David Pope
© Julien Neel