Dieu et moi, histoire d’un rendez-vous manqué

© Katerina Chudnovski, “Crossing to the other side”, acrylic painting, canvas, 20 x 20 cm

Avec Dieu, j’ai tout essayé. La flatterie, la prière, la supplication, l’envoi de mots doux, la menace – Montre-toi, sinon je te quitte avec les enfants – l’invective, les pots-de-vin, les crises de larmes, le chantage au suicide… rien n’a jamais marché. Silencieux, il était, silencieux, il est resté. À se demander s’il ne souffre pas d’une quelconque timidité maladive, une personnalité schizoïde chez qui la simple éventualité de lier connaissance avec un inconnu le plongerait dans un état de panique généralisé au point de demeurer enfermé chez lui toute la sainte journée. Car oui, il faut le savoir, de toute évidence, le Dieu d’Israël a de sérieux problèmes de santé mentale. On le savait atrabilaire, colérique, possessif, maniacodépressif, jaloux au-delà du possible ; avec les apports de la science moderne, des théories comportementales notamment, voilà qu’on le découvre asocial, effacé, atteint d’une sorte de phobie administrative qui le fait porter pâle à toutes les convocations reçues. Un vrai millénial. Je plains sa mère. Quelle vie elle doit mener. Toujours à s’excuser que son petit dernier ne veuille jamais se rendre aux anniversaires ou décline toute invitation à participer à des activités extrascolaires. Je l’imagine passant ses journées à ruminer tant et plus : « Mon enfant n’est pas normal. Il n’a pas d’amis. Il ne sort jamais de sa chambre. Tout juste s’il répond quand je frappe à sa porte. Va savoir ce qu’il manigance entre ces quatre murs. Et s’il se droguait ? Que Dieu m’en préserve… ! »

Pour rencontrer Dieu, mon rabbin m’a dit d’aller prier au Mur des Lamentations. Tu parles d’une idée. D’abord, ça coûte une blinde. Rien que le prix du billet d’avion entame ta croyance en un Dieu perdu dans les limbes de l’éternité. Après, tu dois te taper la douane israélienne, l’autre nom de la Géhenne en hébreu. Le préposé, après m’avoir demandé si j’étais bien le fils de mes parents, si j’avais fait ma bar mitsva, si j’avais des sympathies pour Éric Zemmour, si je militais à Sud-Rail, a voulu connaître la raison de ma venue en Israël. J’ai rencard avec Dieu, j’ai répondu – Vous connaissez son adresse ? – Mur des Lamentations. Vieille ville de Jérusalem. À droite de la Porte de Damas. En face du Mont des Oliviers – Il vous attend ? – Non, c’est une visite surprise. Le fonctionnaire n’a pas eu l’air convaincu. Deux billets de cent shekels plus tard, son scepticisme avait disparu et il m’a même souhaité un agréable séjour en Terre Sainte. Le chauffeur de taxi n’a même pas eu besoin de me demander où j’allais. Visiblement, je devais avoir la tête de l’emploi, de celui qui cherche Dieu. Il m’a déposé direct aux abords des remparts. Au moment de me rendre la monnaie, pour la première fois de tout le trajet, il m’a adressé la parole : «Si vous avez l’occasion de parler avec l’Éternel, demandez-Lui quand le plombier compte passer à la maison. Deux semaines qu’on l’attend avec ma femme.» J’ai vaguement promis. D’expérience, je savais que Dieu n’y connaissait rien en tuyauterie. Les douches, ce n’était pas de son domaine. Les fours non plus, mais bon, passons. Après tout, personne n’est parfait.

J’ai réussi à me frayer un chemin jusqu’au mur. Non sans mal. Il y avait foule. On se serait cru sur l’autoroute du Sud, aux abords de Paris, un retour de grand week-end. Du monde partout. Un vrai Disneyland de la prière avec des touristes venus des quatre coins du monde. Des Bulgares, des Nigériens, des Argentins. Des Juifs pour la plupart. Un spectacle d’horreur en mondovision. Tout juste si de l’endroit où j’étais, j’apercevais le mur. J’ai fini par grimper sur les épaules d’un rabbin finlandais. Du haut de son mètre quatre-vingt-quinze, il m’a conduit au pied de l’autel. J’ai commencé à prier, du moins j’ai essayé. Il y avait un boucan infernal. Des gosses qui pleuraient, des mères qui de l’autre côté de l’esplanade demandaient à leur mari à quelle heure on servait le petit-déjeuner à l’hôtel, des vendeurs de kippa qui cherchaient à refourguer des kippas Bluetooth. J’ai fini par faire abstraction de tout ce chaos et me suis concentré sur mes prières. Dix fois, cent fois, mille fois, j’ai demandé à parler à Dieu. Rien à faire. Je tombais toujours sur la même annonce : «Je ne suis pas là pour le moment. J’ai piscine avec Moïse. Vous pouvez toujours laisser un message mais en général je mets trois millénaires à répondre. Pas besoin de me demander de l’argent, je suis endetté jusqu’au cou. Pour les enfants malades, les cancéreux, les cas de Covid long, voyez auprès de vos rabbins. C’est de leur ressort. Moi j’ai autre chose à foutre de mes siècles. Enfin pour tout ce qui concerne les problèmes de plomberie, je décline toute responsabilité. Relisez le Talmud, la solution s’y trouve forcément quelque part». Écœuré par ce manque de professionnalisme et cette absence de courtoisie, j’ai fini par abandonner et suis rentré au pays.

Depuis, je ne cherche plus Dieu. Je me suis fait une raison. J’ai déjà du mal à rencontrer une partenaire de lit alors Dieu, vous pensez. De toutes les manières, je suis à peu près sûr qu’il déteste les chauves. Et les écrivains. Ils lui font de l’ombre. Dieu est une starlette dont la dernière apparition remonte à des temps si antédiluviens que plus personne ne sait comment le joindre. Comme s’il bossait à la sécurité sociale ou avait pris une retraite anticipée. Parti sans laisser d’adresse. À moins qu’il ne se soit lassé de nous. Qu’il boude, attende des excuses qui tardent à venir. Mais s’excuser de quoi ? Est-ce notre faute si ce schmock nous a choisis pour répandre sa lumière ? Pourquoi a-t-il fallu que cela tombe sur nous, sur moi ? !!! Il n’avait pas un autre peuple à emmerder ? Les Grecs, les Assyriens, les Portugais ? Qu’est-ce que c’est cette manière de te choisir un peuple élu et de disparaître aussi sec sans jamais donner de tes nouvelles ? Quel rustre. Quel manque de tact. «Démerdez-vous, moi je me sauve, je suis garé en double file.» Moïse aurait dû être beaucoup plus ferme, exiger de lui qu’il apparaisse au moins une fois par siècle sans quoi il ne signait pas le bail. Qu’il se montre de temps en temps. Qu’il sorte parfois de son palais et vienne nous rencontrer, nous soulager du fardeau de vivre. Dans tes rêves. Dieu est Dieu. Il n’a de comptes à rendre à personne. Si ça lui chante, il peut rester muet jusqu’à la nuit des temps. Et même au-delà.

Ou alors, il peut s’inscrire demain sur Tinder. Va savoir, il trouvera peut-être l’âme sœur.