“Dis Papi, pourquoi ils ont fait ça ?”

Tenou’a remercie vivement Gabriel Bénichou, ses arrière-petits-enfants Alexandre, Benjamin, David, Eli, Hannah, Isaac, Joseph, Juliette, Léa, Rachel et Simon, ses petits enfants et ses enfants pour s’être prêtés à cet exercice émouvant.
Organisée conjointement avec Gabriel Bénichou, sa fille Catherine, Tenou’a et Akadem, cette rencontre filmée est visible dans son intégralité sur les sites internet de Tenou’a et d’Akadem.
Réalisation : Solène Henino, Sigalit Lavon et Laurent Aspesberro.
www.tenoua.org www.akadem.org

« MOI,JE CROIS QUE GABI,AU DÉPART, IL NE VOULAIT PAS NOUS DIRE TOUT ÇA. PARCE QUE QUAND ON LUI DEMANDAIT : “COMMENT TU AS RÉUSSI?” , IL DISAIT “C’ÉTAIT GRÂCE À DIEU” »

RACHEL (7 ANS) : COMMENT ÉTAIT LA PRISON, À QUOI ELLE RESSEMBLAIT ?

Gabriel Bénichou : J’en ai fait plusieurs des prisons. La prison de Marseille était comme toutes les prisons, on était enfermés à plusieurs dans une pièce (…) et j’ai été dans cette prison pendant assez longtemps.

Tenou’a : Quand tu parles de prison, tu veux dire tous les endroits où ton arrière-grand-père a été détenu ?

Rachel : Ben, je pensais qu’il avait été dans une seule prison.

Tenou’a : Vous avez été détenu dans plusieurs endroits, pas uniquement la prison de Marseille?

Gabriel Bénichou : Oui, bien sûr, mais ce n’étaient pas des prisons, c’étaient des camps de concentration, des camps d’extermination, des camps de l’horreur, quoi. La prison, on est simplement privé de liberté tandis que là, c’était une attente pour la mort.

ISAAC (9 ANS) : QUAND LA GUERRE A ÉTÉ FINIE, AVAIS-TU UN ESPRIT DE VENGEANCE CONTRE LES NAZIS ?

Gabriel Bénichou: Oui, mais je suis retourné en Allemagne. La plupart des déportés n’ont jamais voulu retourner en Allemagne parce qu’ils étaient tout à fait hostiles à ces gens-là. Et moi je me dis: ce sont les gens qui n’étaient pas valables, il y avait autant d’Allemands qui étaient antijuifs, qui nous avaient persécutés, que de Français aussi, il y avait autant de nazis que de pétainistes et donc ce sont les pétainistes, les nazis, et non les Français et les Allemands.

HANNAH (11 ANS) : PENSES-TU ENCORE TRÈS SOUVENT À CES ANNÉES DE TA VIE ? ET QUAND TU Y PENSES EST-CE ENCORE TRÈS DOULOUREUX ?

Gabriel Bénichou : Je n’y pense pas souvent, j’y pense suivant les circonstances, quand il y a quelque chose qui fait que, quand on m’en parle ou quand je vois quelque chose. Mais maintenant, ça ne me dit plus rien, c’est fini, c’est une période passée.

Hannah : Mais tu n’as aucune image marquante qui te revient en tête des fois?

Gabriel Bénichou : Si, si, il y a des images qui me reviennent en tête, mais pas forcément toujours la même.

BENJAMIN (4 ANS) : ET ILS ONT FAILLI TE TUER JE CROIS.

Gabriel Bénichou: Oui, c’est vrai. Benjamin: Et ils n’ont pas eu le temps.

JOSEPH (7 ANS) : ILS VENAIENT D’OÙ LES MÉCHANTS, POURQUOI ILS ONT FAIT ÇA ?

Gabriel Bénichou : Parce qu’ils étaient militaires, parce qu’ils étaient nazis. C’était leur idéal.

JULIETTE (12 ANS) : AS-TU UN JOUR REVU CEUX QUI T’AVAIENT DÉNONCÉ, À MARSEILLE ?

Gabriel Bénichou : Quand je suis revenu à Marseille, les voisins qui nous avaient dénoncés avaient repris l’appartement de ma sœur et, quand ils ont su qu’on revenait, ils ont fui, ils ont eu peur. Moi j’ai essayé d’aller les retrouver, mais ils s’étaient sauvés. Alexandre (10 ans) : Tu en avais contre eux ?

Gabriel Bénichou : Ben évidemment que j’en avais contre eux, ils m’avaient dénoncé.

JULIETTE (12 ANS) : PENDANT LA GUERRE, COMMENT TROUVAIS-TU LE COURAGE DE CONTINUER À VIVRE ?

Gabriel Bénichou : Ben oui, c’est vrai. Les camps étaient entourés de barbelés électrifiés à haute tension. Et il y en avait beaucoup qui ne voulaient plus continuer, ils allaient, ils mettaient la main sur la haute tension et ils étaient exécutés. Et bon, moi, je ne l’ai jamais fait.

JOSEPH (7 ANS) : ILS SONT OÙ LES NAZIS MAINTENANT ?

Gabriel Bénichou : Ils se cachent. Je crois qu’il y en a encore un peu en Allemagne, mais il y en a beaucoup qui sont descendus en Amérique du Sud.

SIMON (7 ANS) : QUELLE EST LA PIRE CHOSE QUI TE SOIT ARRIVÉE PENDANT LA GUERRE ?

Gabriel Bénichou : S’il n’y avait qu’une seule pire chose, on pourrait la raconter indéfiniment. Le nombre de pires choses qui sont arrivées pendant la guerre est impensable, indéfini. Il y en a tellement, tellement, tellement qu’on ne peut pas les citer. Mais quand on nommait les gens pour aller à la chambre à gaz, quand on nommait pour différentes choses aussi horribles, les sélections…

ISAAC (9 ANS) : AS-TU ESSAYÉ DE T’ÉVADER DES CAMPS ?

Gabriel Bénichou: Ça n’a jamais été possible. J’ai essayé de m’échapper, une fois, pendant la marche de l’évacuation. Et donc je me suis sauvé en marche arrière parce qu’il y avait les Américains pas trop loin. Et sur la route, on retrouve les Allemands qui nous arrêtent et, normalement, quand on se sauvait comme ça, ils nous mettaient une balle dans la tête et le corps dans le fossé. Et là, je ne sais pas si c’est par hasard ou si c’est parce qu’ils avaient peur que les Américains ne soient pas trop loin, ils ne nous ont pas exécutés et ils nous ont fait reprendre la marche.

Alexandre (10 ans) : Tu as eu de la chance…

Gabriel Bénichou: Oui, absolument, mais ce n’était pas la seule fois.

JOSPEH (7 ANS) : POURQUOI ILS ONT VOULU TUER LA SŒUR DE PAPI GABI ET PAS PAPI GABI ?

Gabriel Bénichou : Ah ils m’auraient tué moi aussi. Le hasard a fait que j’ai eu la chance d’en échapper mais c’est tout à fait… de la chance, du hasard.

JULIETTE (12 ANS) : QUAND TU LE RACONTAIS À DES PROCHES, TE CROYAIENT-ILS ?

Gabriel Bénichou : Oh ils ne me croyaient pas. Juliette: Et ils disaient quoi?

Gabriel Bénichou : Ils ne disaient rien, ils ne m’écoutaient pas. Quand j’étais à Alger, quand j’allais à la plage, on était en maillot. Un jour, il y a une personne qui vient et me dit : « Ah, c’est votre numéro de téléphone que vous avez sur le bras? ». Et donc, depuis ce jour-là, je n’ai plus les manches courtes, je mets toujours des chemises à manches longues.

JULIETTE (12 ANS) : ET APRÈS, AS-TU EU TOUT DE SUITE ENVIE DE TÉMOIGNER ?

Gabriel Bénichou : Ah non, pas du tout. Personne, encore une fois, quand j’en parlais, personne ne me croyait. Et comme personne ne me croyait, je n’en parlais plus. Mais, toutes les nuits, je retournais à Auschwitz, toutes les nuits, je rêvais d’Auschwitz, jusqu’au moment, au bout d’un certain temps, j’ai décidé d’y retourner, et donc nous avons tout visité, et quand je suis revenu, je suis revenu guéri.

ELI (3 ANS) : COMMENT ÇA VA MAINTENANT ?

Gabriel Bénichou : Maintenant, actuellement, vraiment, je suis en fin de vie, je suis vieux, j’ai eu, après cette horreur, une vie très agréable, très heureuse, j’ai eu des enfants, des petits-enfants, des arrière-petits-enfants et tout était agréable pour moi. Et maintenant, eh bien, je suis en fin de vie, je vais rejoindre ma femme et j’attends ça avec impatience.

Gabriel Bénichou est né à Tlemsen en Algérie, en 1928. En conséquence des lois antijuives de Vichy de 1940 et 1941 et de l’abrogation du décret Crémieux, Gabriel est exclu de l’école publique. Il parvient à se faire admettre au lycée Saint-Charles de Marseille où vivait sa sœur. Une nuit d’avril 1943, alors qu’il dîne chez sa sœur, il est arrêté, envoyé à la prison Saint-Pierre de Marseille puis à Drancy, d’où il sera dé- porté vers Auschwitz par le convoi 57 du 18 juillet 1943. En novembre, il est transféré dans ce qui reste du ghetto détruit de Varsovie et affecté à son nettoyage. De là, il subit une première marche de la mort vers le camp de Kutno en Pologne, puis est envoyé à Dachau d’où il subit une deuxième marche de la mort en direction du Tyrol. Un matin de mai 1945, le groupe se réveille dans une clairière, les Allemands ont fui. Ils trouvent refuge dans un collège occupé par des soldats français, lui se rend malade de trop manger, avant d’être finalement rapatrié en France puis en Algérie.