Qu’il tombe un samedi ou non, Yom Kippour est toujours appelé dans la tradition juive « shabbat des shabbat ». Le mot shabbat signifie littéralement « cessation », « interruption d’activité ». Le jour le plus solennel de l’année est donc celui où, par définition, tout doit s’interrompre. Il intervient pourtant à la saison précise du retour au travail pour la majorité d’entre nous.
Ainsi, en ce mois de rentrée, nos calendriers civils et religieux semblent-ils formuler des injonctions contradictoires. L’un nous prescrit : « retourne travailler ! » tandis que l’autre nous exhorte à tout interrompre, ou plus exactement à changer, le temps d’une journée, la nature de notre travail.
Yom Kippour est un jour entièrement consacré au « travail sur soi ». Il s’agit, une journée durant, d’abandonner toute action routinière et d’entreprendre une mission d’introspection.
Le travail est une notion ambiguë dans la tradition juive. La Genèse affirme que lorsque l’Éternel plaça l’homme sur la terre, il lui confia pour tâche de « la garder et de la travailler ». Mais, un peu plus tard, en punition de la première transgression de l’histoire biblique, l’homme apprend qu’il devra dorénavant travailler cette terre « à la sueur de son front » et dans la peine.
En l’espace d’un chapitre, le travail est donc présenté comme la mission de l’humanité ou comme sa malédiction, comme une tâche noble ou comme une douloureuse aliénation. Le travail semble être porteur de cette ambivalence dès les origines du récit. Le terme hébraïque qui le décrit, avoda עבודה , l’illustre parfaitement : il signifie à la fois le service sacré (le culte) et l’esclavage.
Débuter l’année par un retour simultané au travail profane et à l’introspection permet de penser le sens de notre action sur le monde. En cette saison, il revient à chacun de s’interroger : Quel est le sens de mon travail ? Qu’attends-je de ma vie professionnelle ? Quelle répercussion celle-ci a-t-elle sur ma vie familiale et privée ? Quel employeur suis-je ? Quels sont mes droits et mes devoirs d’employé ?
Dans notre société, où le malaise dans le monde du travail est si souvent ressenti et exprimé, toutes ces questions sont essentielles. Elles ne sont en rien nouvelles : le Talmud, édité aux premiers siècles de notre ère, les aborde déjà et formule un code du travail, à la fois précurseur et créatif. Nos sources traditionnelles envisagent aussi bien la convention collective que le droit à une « assurance-chômage », la détresse des employés ou même celle de leurs conjoints…
Étudier ces textes aujourd’hui pourrait bien initier de nouvelles pistes de réflexion en matière de législation du travail… ou simplement nous aider à méditer humblement cette phrase des Pirké Avot : « Ce n’est pas à toi d’achever le travail mais tu n’es pas exempté, pour autant, de t’y engager ».