Comment en sommes-nous arrivés là ? À ce qu’un mot se charge de tant de haine et devienne pour certains l’insulte suprême, le nom de code de tous les maux ou de tous les complots, l’habit lexical d’un antisémitisme ré/dé-généré, le coupable idéal qui fédère des gens pas toujours bien intentionnés… Il arrive que des mots voyagent et changent de sens mais celui-là est devenu un intraduisible, un terme sur lequel plus personne ne tombe d’accord, pas même ceux qui s’en revendiquent.
Alors oui, comme beaucoup d’entre vous, je suis une « espèce » de sioniste, une espèce parmi beaucoup d’autres mais pas une espèce en voie de disparition. Je le suis toujours face au discours nauséabond de ceux qui font de la lutte contre Israël la colonne vertébrale de leur identité. Je ne le suis pas toujours aux yeux d’autres qui font dire à ce mot ce qu’il ne m’a jamais dit. Et je sais qu’il existe bien d’autres « espèces de sionistes »: ceux qui pensent qu’Israël a besoin de leur soutien inconditionnel et ceux qui pensent que le propre de l’amour est de faire grandir l’autre par nos attentes, nos exigences et parfois nos critiques. Il y a ceux qui pensent qu’Israël est une réponse et ceux qui considèrent qu’il ne fait que formuler une nouvelle question juive. Il y a ceux qui pensent que le sionisme est une révolution et d’autres qui considèrent qu’il ne fait que poursuivre un sillon ancestral, un « sillonisme ».
Dans ce numéro de Tenou’a, les uns et les autres racontent ce que ce mot dit d’eux et comment ils le déclinent dans une palette de couleurs personnelles. La couleur du drapeau d’Israël ne raconte pas autre chose. Elle est bleue mais porte en hébreu le nom de tekhelet, un bleu azur dont, selon la légende rabbinique, personne ne connaît précisément la teinte. La couleur du drapeau d’Israël est mystérieuse. En fait, elle est une « espèce de bleu ».
Ce numéro est dédié à la mémoire du philosophe israélien et ami de Tenou’a Michaël Bar-Zvi ז״ל . Michaël a toujours soutenu Tenou’a, nous apportant ses réflexions, son immense connaissance du sionisme et d’Israël et son aide bienveillante. Sa pensée, ses écrits et ses actions honorent le judaïsme français et israélien.
Son amitié, sa voix ferme mais toujours ouverte au dialogue et à la contradiction, et la pertinence de ses analyses nous manqueront terriblement. Nous garderons de lui l’image d’un militant courageux, déterminé et intègre. Puisse sa mémoire éclairer nos réflexions et ouvrir nos esprits.
Francis Lentschner
Directeur de la publication