Édito : Héroïsme du vivant

L’édito du numéro hors-série Yom HaShoah 2011.

Le jour de Yom Hashoah instauré en 1959 par l’État d’Israël porte en réalité le nom complet de Yom Hazikaron la-Shoah vela-Guevoura : littéralement « journée du souvenir de la Shoah et de l’héroïsme ». Pour ses initiateurs, il s’agissait de commémorer la catastrophe tout en y associant la force et la révolte, et briser ainsi le mythe terrible d’un peuple « conduit passivement à l’abattoir ». 

La révolte et l’héroïsme juifs ont bien sûr existé. À Varsovie, à Vilno ou Bialystok, à Sobibor, à Treblinka, et en bien d’autres lieux encore, des hommes et des femmes se sont levés et ont pris les armes contre leurs bourreaux. 

Mais il fut également une résistance, dans une acception plus large du terme, qui mena le combat contre la barbarie nazie par la pensée et par les seuls actes de cette créativité propre à l’humain en tout temps. Individuelle ou collec- tive, spirituelle ou artistique, armée de chants, de prières, ou de paroles… cette résistance fut celle de la dignité humaine préservée. Cet héroïsme fut celui d’un combat mené à chaque instant contre l’asservissement et l’annihilation de l’humain. C’est à cette Guevoura, à cet héroïsme là, dans tous ses visages d’une résistance protéiforme, que nous rendons hommage dans ce numéro hors-série de Tenou’a. 

Avant d’être humaine, la Guevoura, selon la tradition, est d’abord un attribut du divin, l’un des noms de Dieu. Chaque jour, au cœur de la prière de la Amida, récitée debout et en silence, nous invoquons l’Éternel par ces mots Ata Gibor Adonai mehaye metim ata, rav lehoshya, « Tu es un héros, Éternel, Toi qui fais revivre les morts et qui sauve ». Pour la pensée juive, l’héroïsme par excel- lence est d’abord un défi surhumain contre la mort, le refus d’une fin iné- vitable et la réinscription dans un vivant éternel. 

Face à la plus grande tragédie de l’histoire juive, il est légitime de demander où fut le Dieu salvateur, celui qui ramène à la vie. Aucune affirmation théologique ne peut répondre à cette question ni déclarer de façon incontestable où le divin s’est révélé dans la Shoah, si ce n’est peut-être au cœur de la résistance humaine.
La Guevoura, l’héroïsme s’est révélé partout où se menèrent les combats pour la victoire de la vie par-delà la fin annoncée. La résistance humaine fut le cri du vivant debout, son élan puissant contre la fatalité du morbide. 

Commémorer la Shoah, c’est se souvenir du combat de ceux qui refusèrent l’extinction des corps, des esprits, des âmes et des valeurs humaines. Nous faire les héritiers de leur lutte contre la mort, c’est nous engager à notre tour à ne pas l’accepter.