Une célèbre histoire hassidique raconte comment après la mort du Rebbe, le chef spirituel de la communauté, son fils lui succéda. Interrogé par sa communauté sur tel ou tel point de loi juive, le fils donnait systématiquement des réponses très différentes de celles du père. Troublés par ces bouleversements, les fidèles décidèrent d’interroger le nouveau rabbin sur ce point : « Comment se fait-il que tu sois si différent de notre maître ? ». Il leur répondit : « Au contraire, je lui ressemble en tout point : mon père n’imitait personne et moi non plus ».
Cette anecdote pourrait bien résumer le rapport ambigu que nous entretenons avec l’idée de changement. Nous vivons dans une société qui le chérit et l’encense, y voyant souvent une garantie de progrès et de renouveau salutaire. Il faudrait toujours tout changer et renoncer aux schémas et modes de vie d’hier, au nom d’un mieux-être ou d’un devoir de nouveauté. Le changement, élevé en icône, ne serait que pour le mieux.
Mais simultanément, notre société voue un culte aux valeurs d’antan avec lesquelles rien ne saurait rivaliser. Le discours religieux, dans son expression traditionnelle, en offre l’illustration.
Au nom de la stabilité, il faudrait garder à tout prix intactes les habitudes, figer les uset coutumes ancestraux au nom des traditions préservées. « Nous avons toujours fait comme ça », répètent en chœur ceux qui oublient que la tradition est bien souvent la fille d’évolutions passées, le fruit d’autres ruptures. La sagesse hassidique nous rappelle avec humour que le respect de la tradition consiste parfois à être aussi novateurs que nos pères, quitte à les contredire. Elle rappelle aussi que bien des changements ne sont que des héritages. Ainsi, le futur ne se détourne pas du passé mais répète à sa manière ce qu’il a appris de lui. Vous tenez entre les mains un numéro de Tenou’a qui n’imite pas ceux qui l’ont précédé, dans le fond ou dans la forme. Sa nouvelle maquette a été pensée pour tisser, un peu plus solidement encore, les fils d’un dialogue qui nous est cher : celui de la pensée juive et de l’art. Voilà pourquoi, plus qu’une revue, il devient un atelier de pensée(s) juive(s) plurielle(s), le lieu d’une créativité en développement permanent. S’y rencontrent de nombreux auteurs et artistes qui ont accepté de penser avec nous le changement et le sens d’une ancestrale tradition d’innover.