Édito : Le judaïsme aime-t-il les femmes ?

L’édito du rabbin Delphine Horvilleur.

Cette question récurrente qu’on pourrait adresser à tout monothéisme ne tolère, en réalité, aucune réponse évidente. À coups de versets, extraits ici ou là des sources traditionnelles, il est aussi simple de démontrer que le judaïsme est sincèrement soucieux du statut des femmes que profondément misogyne et haineux à leur égard.

Dieu dit à Abraham: « Écoute la voix de Sarah, quoi qu’elle te dise » (Genèse 21), et la Torah encense la vertu de « femmes d’excellence », de prophétesses, de reines et de matriarches qui changent le cours de l’Histoire. « Qui trouve une femme, trouve le bien » commente le Talmud qui dit aussi « qu’un homme ne doit jamais marcher entre deux femmes par crainte de sorcellerie » (Meguila 14), que « mieux vaut brûler la Torah que de la confier à une femme » (Sota 83, Talmud de Jérusalem) ou que « l’esprit des femmes est léger » (Shabbat 33).

Il est extrêmement aisé ou malhonnête de faire dire au texte une chose ou son contraire, sans penser le contexte littéraire et historique dans lequel tel ou tel verset s’insère, sans considérer qui l’énonce et qui le reçoit. La question, dès lors, n’est plus de savoir si le judaïsme est misogyne mais si ceux qui s’en réclament, les lecteurs du texte et ses interprètes de génération en génération le sont. Ils le sont bel et bien lorsqu’ils refusent aujourd’hui de lire ces versets à la lumière des temps dans lesquels ils vivent, au nom de vérités immuables et essentielles qui détermineraient le rôle des femmes, leur nature ou leur place dans la société. Le propre de la lecture juive est pourtant d’être vivante, c’est- à-dire renouvelée de génération en génération par des lecteurs au regard inédit. Le texte n’est jamais dit une fois pour toute mais attend d’être redit ou même dédit par de nouveaux lecteurs et, aujourd’hui, par de nouvelles lectrices. Car, il faut bien l’admettre, elles ont été très peu nombreuses à travers l’histoire, celles qui ont eu accès au texte et pu ajouter leurs voix aux commentaires et aux débats.

Notre génération assiste à une révolution dans les synagogues, les maisons d’étude et les esprits, et c’est de ce bouleversement que ce numéro de Tenou’a veut se porter témoin. Nous avons demandé à des femmes et des hommes, issus de toutes les sensibilités du judaïsme contemporain, de relire et commenter des textes juifs, parfois problématiques, notamment la plus célèbre des bénédictions matinales, prononcée par de nombreux juifs orthodoxes « Béni sois-Tu de ne pas m’avoir fait femme ». Nous avons interrogé, aux États-Unis, une des premières femmes rabbins orthodoxes, et rencontré, en Israël, une des « femmes du Mur » qui prient au Kotel pour un judaïsme plus égalitaire. Les artistes, peintres et photographes, qui ont contribué à ce numéro sont toutes des femmes. Ensemble, elles nous livrent un peu de ce midrash éclipsé, ce commentaire au féminin dont le judaïsme a malheureusement été privé pendant des millénaires.

  • Sonia Sarah Lipsyc

Yentl est assise à la classe de Rabbi Aquiba (Acte I)

Yentl s’est échappée du texte d’Isaac Bashevis Singer, son auteur, et nous raconte ses aventures. Elle a choisi Sonia Sarah Lipsyc comme porte-plume qui rapporte ici fidèlement ses conversations avec Yentl. Dans cet épisode, Yentl, qui a la capacité de voyager dans le temps se retrouve aux côtés de Moïse, lui-même assis dans la classe de Rabbi Aquiba alors que des siècles séparent ces deux grandes figures. Elle observe le prophète qui a transmis la Torah et qui, pourtant, ne la reconnaît plus. Yentl s’interroge sur l’art de l’interprétation voire les avatars des héritages. Elle cite Singer mais aussi ses conversations imaginaires ou réelles avec Avigdor, son compagnon d’étude.
Nous retrouverons Yentl régulièrement au travers de ce feuilleton dont nous publions ici des extraits.
La série « Yentl is back » est un manuscrit déposé à la SACD (avril 2014)

 

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