On parle souvent de la Bible, non seulement comme d’un livre, mais comme DU livre. Il s’agit pourtant non d’un ouvrage mais d’une véritable bibliothèque, d’une compilation littéraire aux styles multiples. La Bible porte en hébreu le nom composite de TaNaKH תנ״ך ,un acrostiche en trois lettres de Torah תורה , Neviim נביאים , Ketouvim כתובים : le Pentateuque, les livres des Prophètes et les écrits hagiographes. Ainsi le canon biblique coud-il ensemble des textes aussi variés que ceux de la Genèse, de Jérémie, des Psaumes ou du livre d’Esther. Des récits de créations ou de destructions, des projets poétiques ou politiques.
Que l’on considère tous ces textes comme divinement inspirés et révélés une fois pour toutes, ou que l’on perçoive ces récits comme des œuvres humaines greffées les unes aux autres au fil des siècles, il est indéniable que cette compilation est porteuse de voix multiples qui se répondent et parfois se contestent. La voix de la Genèse et son divin créateur n’est pas celle du livre des Nombres et de son Dieu législateur.
Le Moïse de l’Exode, héros littéraire et acteur de la rédemption n’est pas celui du Deutéronome, auteur d’un récit à la première personne du singulier, son singulier héritage.
D’autres livres semblent ici et là se contredire, ou prêcher des philosophies contradictoires. Quand le Lévitique se méfie des corps et de l’impureté du contact physique, le Cantique des Cantiques chante les louanges de la rencontre amoureuse et du plaisir des sens. Là où les Psaumes louent l’omniprésence du divin, le livre d’Esther semble l’éclipser, et ne le nomme pas même une fois.
L’Ecclésiaste, qui déplore la vanité des choses, enseigne tour à tour le goût et le dégoût des joies quotidiennes.
Le scribe Ezra invite les hommes d’Israël à renvoyer toutes leurs épouses non-juives, tandis que le livre de Ruth semble enseigner précisément l’inverse : c’est d’une femme étrangère que naîtra le roi David et c’est par elle que viendra la rédemption.
On peut dénoncer l’incohérence des messages ou leur apparente aporie. On peut, au contraire, saluer la richesse herméneutique qui naît de ce complexe métissage littéraire. La force d’une tradition est de faire dialoguer ces univers, et de lire justement dans ces voix plurielles la trace de l’unicité divine.
Le Talmud énonce ce principe sous la forme d’un adage : « Les paroles des uns et les paroles des autres sont les paroles du Dieu vivant. »
אלו ואלו דברי אלוהים חיים
La possibilité d’une vérité énoncée au pluriel est, pour la sagesse juive, la trace de la divine unité.