Élou vé-élou divré Élohim haim, « Les paroles des uns et les paroles des autres sont les paroles du Dieu vivant ». L’adage du traité Erouvin 13b renvoie à un épisode où deux sages, Hillel et Shammaï, débattent sans jamais tomber d’accord. Leurs avis diffèrent et pourtant, loin de définir qui des deux dit juste, le texte honore leurs voix divergentes comme étant toutes deux valables, toutes deux paroles vivantes du divin. Le Talmud, à travers cet adage, fait l’apologie d’un pluralisme de pensée, d’un monde ou plusieurs vérités peuvent cohabiter. Dans ce monde, l’expression « tomber d’accord » prend tout son sens : celui d’une chute, l’impossible élévation du débat.
Il suffit d’ouvrir un traité du Talmud pour retrouver, page après page, l’illustration de ce principe de pluralisme. Le livre central de la pensée juive est en effet mis en pages comme un dialogue continu entre opinions contraires.
Cette discussion ininterrompue est au cœur de ce texte où les avis, même minoritaires, sont consignés. Ce dialogue est d’ailleurs inscrit dans la structure même de la page. Le graphisme singulier du Talmud s’organise autour d’un texte central que d’autres textes encadrent comme un écrin. Les marges de la page sont aussi essentielles que son centre, parce que ce sont elles qui portent l’interprétation, écrite de génération en génération.
L’interprétation doit être un exercice continu, afin que jamais un texte ne se fige. Inscrit dans ses marges, le commentaire n’est pourtant jamais marginal, mais garant de la vitalité du texte originel. Une tradition vivante, commentée de génération en génération, et imprégnée de la sagesse juive du dialogue. Tel est l’esprit dans lequel je souhaite inscrire la nouvelle formule de Tenou’a.
Dorénavant trimestrielle, la revue abordera dans chacun de ses numéros une thématique traitée sur le mode d’un dialogue pluriel, d’un concerto à plusieurs voix. S’y exprimeront des rabbins de toute sensibilité, des hommes et des femmes issus de toutes les mouvances du judaïsme contemporain. La parole sera donnée à des intellectuels, des chercheurs, des artistes, dont le travail a souvent valeur de midrash (interprétation) contemporain.
Élou vé Élou, les paroles des uns et les paroles des autres se répondront et viendront remplir les marges de cette revue. La nouvelle maquette de Tenou’a reprend d’ailleurs graphiquement cette structure talmudique. De nombreuses rubriques sont construites à la manière d’une page de Talmud, avec un texte central, encadré de voix plurielles.
En hébreu, pluriel se dit « rav », qui est également la racine du mot rabbin. Singulier jeu de mot, puisque c’est précisément au(x) rabbin(s), au pluriel, que nous consacrons ce premier numéro. En hébreu, le maître est pluriel…
De nombreux contributeurs (voir page ci-contre) ont accepté d’explorer ou de questionner, pour Tenou’a, chacun à leur manière, la fonction et le sens du rabbinat. À quoi ressemble un rabbin aujourd’hui ? Est-il un officiant, un sage, un pasteur ? Comment un rabbin est-il formé ? Comment est-il représenté dans la société, dans l’art ou dans la littérature ? À l’heure d’un rabbinat à visages multiples, à mouvances diverses, ce dossier interroge autant les origines historiques de l’autorité rabbinique que sa féminisation ou l’avenir de la profession de rabbin.
Ce dossier est dédié à Daniel Farhi, rabbin fondateur du MJLF et de cette revue, à l’heure où il s’apprête à prendre sa retraite. Il lui est en partie consacré. En effet, son rabbinat, au service du judaïsme libéral en France, au service de la mémoire de la Shoah, au service de la transmission et au service d’une communauté et de ses fidèles, aura été celui d’un engagement pluriel, auquel nous rendons un hommage chaleureux.