Édito : Passages

S’il est un soir dans l’année juive où le questionnement est à l’honneur, il s’agit sans doute du soir du séder de Pessah. On ne peut, dit la tradition, commencer le récit et le rituel de cette fête sans qu’un enfant n’in- terroge le groupe, sans qu’un ma nishtana ? ne résonne autour de la table, et ne libère la parole des adultes : « En quoi cette nuit est-elle différente des autres nuits ? ». Cette nuit-là, aucun récit ne peut débuter sans la question inaugurale d’un enfant. Il interroge et le parent doit tenter de ré- pondre, de raconter l’histoire, avec les mots du livre ou les siens.

À quelques jours de Pessah, dans ce numéro de Tenou’a, nous avons choisi, nous aussi, d’interroger le parent, non pas tant la personne que son rôle et sa fonction. Quels sont les modèles de parentalité présentés ou véhiculés par la tradition juive ? Quels sont les droits et devoirs d’une génération vis- à-vis de la suivante ? Qui sont les parents juifs d’aujourd’hui et comment, à leurs yeux, s’opère la transmission ?

Le parent juif, principalement la mère, est souvent raillé comme paradigme de la possessivité maladive et de l’amour excessif, sans possibilité de détachement.

Paradoxalement, les récits fondateurs de notre tradition semblent raconter, un à un, une toute autre histoire : la saga biblique de nos patriarches – littéralement avot, « nos parents » – débute avec Abraham, le père du monothéisme. Nous sommes héritiers d’un homme qui entendit lekh lekha – « va vers toi » –, et abandonna alors la maison de son père. L’histoire juive commence par celle d’un homme qui quitte ses parents. Elle se poursuit par le récit d’une autre rupture, celle des Hébreux au sortir de l’Égypte. Toute la littérature rabbinique parle de l’Égypte comme d’une matrice, d’une terre maternelle dont le peuple d’Israël doit s’extirper, pour naître à soi. Au soir de Pessah, de génération en génération, le peuple juif rejoue la scène de la séparation violente d’une mère égyptienne, et de sa traversée solitaire du désert.

Ces deux récits fondateurs de rupture parlent d’un détachement nécessaire de la terre maternelle ou paternelle pour que l’individu – ou le peuple – advienne, et accède à sa destinée d’adulte.

Devenir adulte n’implique pas nécessairement des ruptures aussi violentes avec ses terres d’origine, mais certainement la reconnais- sance d’une mise en chemin inéluctable. Quant au parent, il lui revient d’aimer, de transmettre mais aussi d’accompagner le départ. Son rôle est aussi de permettre qu’un jour son enfant le quitte. Au soir du séder, il s’y prépare en lui disant : tu es en droit (ou en devoir) de questionner le monde que tu as reçu en héritage et d’offrir à la génération suivante des récits et des réponses qu’elle sera libre, à son tour, d’interroger.