Édito : Petite grammaire de l’identité

L’édito du rabbin Delphine Horvilleur

En hébreu, le verbe « Être » n’existe pas au présent. La conjugaison n’y connaît que deux temps, le futur et le passé ou plus précisément l’inaccompli et l’accompli, comme si, dans cette langue, on ne pouvait rien dire de qui l’on est aujourd’hui.

Entre ce qui a été et ce qui reste à être, la grammaire fait silence ou dit plutôt à sa manière l’impossible récit au présent, ce temps que le philosophe Hegel définit comme « ce qui n’est déjà plus quand il est ».
Il existe heureusement dans nos vies un lien et une continuité entre notre histoire et nos projets. Cet entre-deux est même précisément ce qui définit notre identité.

Ce mot est au cœur d’une réflexion nationale controversée, aujourd’hui, tandis que l’on s’interroge sur ce qui compose l’identité française, ce qui fait le « nous » national et sur la légitimité même de cette question.
« Certains aujourd’hui interrogent le judaïsme et le peuple juif comme incarnant un modèle de persévérance dans son identité, un modèle de permanence. Le judaïsme, qui a traversé les siècles et les millénaires dans la fidélité à son message universel, qui a témoigné d’une incontestable compétence dans la transmission de l’identité, peut sans doute participer à renseigner notre société sur la question de la permanence et des fondements de l’identité », écrivait récemment le Grand Rabbin de France, Gilles Bernheim, dans un grand quotidien national1

La question de l’identité et, à travers elle, de l’héritage et de la transmission est bien sûr centrale pour notre tradition qui est pourtant loin d’y offrir une réponse monolithique. Depuis des millénaires, le judaïsme interroge ses composantes, culturelles ou religieuses, historiques ou ethniques. L’identité juive est complexe et composite comme en témoignent les diverses sensibilités, les « dénominations » multiples qui composent le peuple juif aujourd’hui. 

Dans quelques semaines se tiendra à Paris le Congrès européen du judaïsme libéral (organisé par l’institution internationale de la World Union for Progressive Judaism). L’occasion pour nous d’interroger notre identité juive aujourd’hui, l’héritage de nos ancêtres et nos projets d’avenir.

Le judaïsme libéral est riche d’une histoire bicentenaire en Europe. Il est à la fois héritier de la culture juive millénaire et de la philosophie des lumières, enfant de la tradition et de la modernité. 

Depuis ses origines, il a engagé une réflexion sur des thématiques aussi diverses que le sens du rituel, l’engagement éthique, la place traditionnelle de la femme et le devoir de justice au cœur du judaïsme. Il s’est fait le pionnier d’une pensée juive engagée dans les débats de son époque tels que la conscience environnementale ou les défis de la bio-éthique.

Aucun de ces combats n’appartient au passé. Ils sont d’actualité pour notre génération et de nos engagements présents dépendent leur avenir. En participant à ce congrès international, il nous est donné de penser le lien entre le passé et l’avenir du judaïsme en France et dans le monde. Une opportunité de conjuguer ensemble nos voix à tous les temps et d’écrire ce que sera l’identité juive libérale de demain.

1. La nation par les rêves, par Gilles Bernheim, Le Monde, 28 novembre 2009.
Retour au texte