Le film de Cédric Kahn s’organise autour d’un choix stylistique radical : celui de l’univers clos et étouffant d’un procès. Hormis une ou deux scènes de dialogues avocats et prévenus, nous plongeons au cœur de la machine judiciaire. Dans le box, nous découvrons un accusé dont le nom, Pierre Goldman, nous est familier, même si son assassinat mystérieux est survenu dans un monde qui n’était pas encore le nôtre. 

Que reste-t-il de Pierre Goldman aujourd’hui ? Dans le désordre et de façon parcellaire : des certitudes pour quelques uns, des doutes pour d’autres, l’image d’un héros intransigeant et d’un voyou opportuniste, une ironie mordante et un désespoir abyssal, un enfant né dans l’ombre portée de la Shoah et un révolutionnaire désabusé, quelques notes de musique et une écriture foudroyante… 

C’est à ces facettes multiples et parfois contradictoires qu’Arieh Worthalter redonne vie dans l’espace narratif du second procès de Pierre Goldman. Théâtrale et presque tragique, d’une violence tranchante, la puissance de l’interprétation de l’acteur fait oublier les contraintes de l’exercice de style imposé par le réalisateur. Mieux, ce jeu mène le spectateur vers une forme de clarification des tenants et aboutissants du “cas Goldman”. 

Le Procès Goldman est avant tout le fruit d’un minutieux travail de reconstitution réalisé par la scénariste Nathalie Herzberg qui a compilé et organisé les très nombreuses chroniques judiciaires parues à l’époque des faits. De ce premier récit de 300 pages composé par Nathalie Herzberg, naîtra un scénario de 80 pages qui réussit la prouesse de mettre de l’ordre dans les faits, nous l’avons dit, sans jamais sacrifier au caractère inextricable d’une affaire qui a fait couler tant d’encre depuis cinquante ans. Si la justice a énoncé sa vérité de l’affaire Goldman, le film laisse libre le spectateur de tourner et retourner la question qui ne cesse de planer : Pierre Goldman était-il coupable ? Le film interroge la justice, le pouvoir des mots, la force performative de la parole, la fragilité du témoignage et toute son humanité à travers la figure d’Alter Goldman, le père de Pierre (qu’on peine à imaginer sous les traits de Jerzy Radziwilowicz).

Cette urgence à raconter, qui habite tous les grands témoins, apparaît dévorante et flamboyante dans la figure de Pierre Goldman dessinée par Cédric Kahn. Et en cela le film ouvre la porte vers l’œuvre littéraire de l’accusé et c’est sans doute la vertu cardinale de ce Procès Goldman. En effet, le phrasé même d’Arieh Worthalter fait écho au style de Souvenirs obscurs d’un juif polonais né en France, l’ouvrage rédigé en prison par Pierre Goldman et devenu mythique pour toute une génération de Juifs français nés après la seconde guerre mondiale. Haletant, passionné, nerveux, tout le texte est un exercice dialectique et un plaidoyer structuré par un farouche désir d’introspection. Si les judéités complexes, les liens posés par Goldman entre antisémitisme et racisme, sa fascination pour la créolité et ce que d’aucuns nommeraient aujourd’hui la convergence des luttes, infusent tout Le Procès Goldman, elles ne se déploient pleinement que dans ces Souvenirs obscurs…