Le Mémorial de la Shoah consacre une exposition aux “Étrangers dans la Résistance en France”, à l’occasion de la Panthéonisation de Missak Manouchian et de sa femme Mélinée. La rédaction de Tenou’a a visité cette exposition qui met l’accent sur l’hyper-représentation des étrangers dans la résistance en France.
Dans le 11e arrondissement de Paris, on croise le visage sculpté de Marcel Rajman, un Juif polonais de 21 ans, pas plus. Son regard happé par quelque chose, gagné par l’intranquillité et l’urgence de faire, nous coupe dans notre élan, on s’arrête. Foulard arrimé à son cou, cheveux suspendus, lèvres verrouillées, à quoi pense-t-il ?
Arrivé à l’âge de 8 ans en France, Marcel Rajman s’engage au sein des Jeunesses communistes dès le début de la guerre. En 1942, il rejoint les Francs-tireurs et partisans – main-d’œuvre immigrée, un groupe de combattants communistes étrangers (italiens, roumains, polonais, espagnols, arméniens), dirigé par Missak Manouchian. En novembre 1943, après des mois de filature, Marcel Rajman dit Rayman est arrêté avec plusieurs de ses camarades. Le 21 février 1944, il est fusillé au Mont-Valérien avec 21 autres résistants. Olga Bancic, seule femme du procès de l’Affiche rouge, est guillotinée dans la cour de la prison de Stuttgart en Allemagne (les Allemands voulaient éviter de faire des femmes des martyrs).
Le 21 février 2024, Missak Manouchian, accompagné de sa femme Mélinée, entre au Panthéon. À travers cette cérémonie, la France honore le combat de tous les résistants étrangers pour la Libération de la France. Dans ce contexte, le Mémorial de la Shoah consacre une exposition aux “Étrangers dans la Résistance en France”, “une résistance modelée par la présence des étrangers, plus patriotes que les patriotes”, selon la formule de Renée Poznanski, historienne et co-commissaire de l’exposition. “Et ça, il faut le répéter et en rendre compte”, ajoute l’historien Denis Peschanski, co-commissaire.
Pourquoi les étrangers étaient-ils surreprésentés dans la Résistance ? “Ces hommes et ces femmes ont été pourchassés dans leur pays d’origine, ils se sont réfugiés en France, la seule démocratie d’Europe, une terre d’accueil dont ils ont épousé les valeurs, ils lui sont reconnaissants”, estime Renée Poznanski. Dès la déclaration de guerre, le 3 septembre 1939, de nombreux Juifs étrangers s’engagent aux côtés de la France.
Depuis plusieurs décennies, les Juifs d’Europe centrale et orientale trouvaient refuge en France pour échapper aux pogroms, les militants communistes sanctionnés pour leur engagement politique écopaient très souvent de peines de prison, ne pouvant pas vivre leurs convictions librement. C’est le cas d’Olga (Golda) Bancic, Juive de Bessarabie. En France, ces exilés se retrouvaient autour d’un idéal, “l’idéal d’un monde plus juste”. Dans les années vingt, les étrangers viennent reconstruire le pays, alors exsangue et en manque de main-d’œuvre. Dans les années trente, la situation se renverse : la crise de 1929 démocratise la misère et la xénophobie, “la main d’œuvre étrangère devient la main d’œuvre immigrée (de MOE à MOI)”, nous apprend la commissaire de l’exposition. On change de lexique pour conjurer la haine de l’autre, pour absoudre l’antisémitisme fédérateur. Peine perdue.
En 1940, le régime de Vichy signe l’armistice, collabore avec l’occupant nazi et procède à l’arrestation et l’internement de nombreux Juifs étrangers. En 1942, après plusieurs années de lutte armée, le parti communiste constitue les FTP-MOI (fusion des branches politiques et militaires) et, dès juin 1943, une équipe spéciale dirige des actions visant uniquement des militaires et des soldats allemands. “Et ça, il faut bien l’avoir en tête parce que les Allemands, dans la mise en scène du procès, vont inverser la chose et essayer de montrer que ce sont des Juifs, des métèques, des communistes qui organisent l’assassinat de bons citoyens français”, complète Denis Peschanski.
L’exécution le 28 septembre 1943 de Julius Ritter, SS, responsable du Service de travail obligatoire en France (envoi des jeunes pour travailler en Allemagne) fait partie de leurs actions les plus “spectaculaires”. “Au moment où les FTP-MOI l’exécutent, ils ne savent pas que c’est lui, ils savent qu’ils ont exécuté une personnalité très importante. Ils comprendront quelques jours plus tard, dans la presse, le caractère extraordinaire de leur action”, nous apprend le co-commissaire.
Après des mois de filature (trois filatures successives vont s’enchaîner de janvier-février 1943 jusqu’à novembre 1943) par la police de Paris, le groupe est arrêté et livré aux Allemands. “Il faut imaginer cette situation : des policiers français, à la demande de Vichy, qui filent, arrêtent, torturent des étrangers qui combattent pour la libération du territoire national”, tient à préciser Denis Peschanski. L’exposition présente pour la première fois des schémas de filatures réalisés par les Brigades spéciales ainsi que les agendas de ces policiers qui rapportaient de façon quotidienne ce qu’ils savaient sur les FTP-MOI, ces archives de la préfecture de Police permettent de comprendre la progression des policiers, comment ils sont arrivés à reconstituer l’organigramme du groupe.
En mars 1944, une affiche avec les visage de dix de ces résistants, l’Affiche rouge est placardée dans tout Paris. “Elle vise à montrer que la résistance est le fait d’étrangers et de communistes. Mais, les Juifs en sont la cible essentielle. La presse résistante n’a même pas cherché à riposter, seule la presse juive a réagi”, informe Renée Poznanski.
Il y a tant à dire sur “des Étrangers dans la Résistance” et sur cette exposition qui rend visible les trajectoires individuelles de ces hommes et ces femmes, des vies “complètement extraordinaires” combinées à un narratif plus général. Parce que l’on ne peut pas tout écrire, on pose une dernière question : quel message retenir de cette exposition ? “Toutes les lettres de ces résistants se terminent par ‘Vive la France!’ Derrière la pluralité de leurs identités, il y a la conviction d’un universalisme hérité de la France des droits de l’homme. C’est ça qui nous constitue et c’est ça que l’on doit retrouver !”, intime Denis Peschanski.
Exposition à voir jusqu’au 20 octobre au Mémorial de la Shoah, 17 rue Geoffroy-l’Asnier, 75004 Paris