Comment vous êtes-vous rencontrées et qu’est-ce qui vous a amenées à créer le festival Israélo-Palestinien « pèlerinage en décalage » à Paris ?
INÈS J’ai grandi à Jérusalem de mon premier anniversaire à mes 18 ans. Je suis française mais mon père y était correspondant pour Radio France. Kenza est née et a grandi au Maroc. En 2007, nous nous sommes toutes deux installées à Menton.
KENZA Nous nous sommes rencontrées sur la plage. Inès arrivait de Jérusalem et moi de Rabat pour suivre le premier cycle Moyen-Orient-Méditerranée de Sciences Po. Nous avons passé deux ans ensemble là-bas avant de partir en échange universitaire, moi à Tel Aviv et Inès au Caire. L’inspiration de ce festival nous est venue à notre retour en France, à Paris, à la fois de ce que nous avions vécu là-bas et de ce que nous observions à Paris, notamment concernant la programmation culturelle à ce sujet qui nous semblait très binaire et dont les publics ne se croisaient pas.
Dans la présentation du festival sur votre site, vous dites n’avoir aucune prétention de faire la paix, pouvez-vous expliquer ?
INÈS C’est vrai que quand on pense festival israélo-palestinien, on croit toujours qu’on va faire venir des gens, leur faire se serrer la main et, en deux jours, faire la paix. Mais toutes les deux nous avons été là-bas, du côté israélien et du côté palestinien. Et nous savons pertinemment que la paix ne se fera pas à Paris en deux jours. Notre idée était bien plus de montrer au public à Paris que tout, dans cette zone, est en nuances. Pour cela, il fallait amener des artistes, il fallait faire venir le voyage ici.
KENZA Nous nous sommes pris une claque, l’une et l’autre en arrivant à Paris, parce que les discours, nourris de pseudo-convictions, nous semblaient plus extrêmes que là-bas. Très souvent, lorsque nous confrontions des gens sur le terrain à ceux qui regardent ça d’ici, la tolérance, la réflexion et la distance se trouvaient clairement du côté moyen-oriental. L’idée pour nous était d’inviter des artistes sans tenir compte de leurs opinions personnelles, mais ni diplomate, ni chercheur, aucun de ceux qu’on entend tout le temps.
De quelle façon avez-vous choisi, contacté et convaincu de venir les artistes qui ont participé ?
INÈS Ça s’est beaucoup fait de façon très spontanée, via Facebook notamment. Nous avions, l’une ou l’autre, repéré un artiste là-bas, nous le contactions et, en général, il répondait oui. Quelques artistes palestiniens ont refusé, sans être opposés au festival, craignant que leur venue ne puisse leur porter préjudice sur place. Nous nous attendions à nous faire insulter, mais rien.
Ce festival a été financé par le crowdfunding et est indépendant financièrement. Pourquoi n’avez-vous pas cherché de l’argent dans les institutions traditionnelles qui auraient pu vous soutenir ?
KENZA La vraie raison est que nous avons monté ce festival très vite, en neuf mois, et le financement participatif était la manière la plus efficace de lever des fonds. Mais ce n’est pas que nous ne voulions pas d’argent des fondations, ce sont les fondations qui nous ont gentiment remerciées ou ont ignoré nos messages. Pour cette année, nous les recontactons fortes du succès de la première édition.
INÈS Bien que cette absence de soutien des fondations nous ait déçues, il nous est apparu, après coup, que c’était mieux d’être financièrement indépendants sur ce sujet. C’est grâce à cela que nous ne sommes pas du tout boycottables, et cela nous a sûrement beaucoup aidées à avoir l’accord des artistes. Dès le départ bien sûr, il était hors de question de recevoir quelque fond que ce soit israélien ou palestinien, mais en ne recourant qu’au crowdfunding, nous n’étions soupçonnables de rien. Cette année, nous cherchons des fonds auprès de fondations philanthropiques mais nous restons très attentives à ce qu’il s’agisse de fondations qui n’ont pas de lien, même ténu, avec l’une ou l’autre partie.
Quel est l’avenir idéal de ce festival ?
KENZA Nous espérons le poursuivre à l’infini… le faire grandir et qu’il s’installe à Paris comme un festival à part entière.
INÈS Dans l’immédiat, nous préparons l’édition de juin 2015 et nous avons déjà de beaux artistes qui, maintenant, viennent à nous – ce qui est une évolution. Et nous voudrions aussi peutêtre en créer une édition bis, ailleurs qu’à Paris.
KENZA Notre but est aussi que ce festival devienne une plateforme de cocréation et de coproduction pour que des gens puissent venir à Paris pour créer des œuvres collectives. Cela s’est fait de façon spontanée lors de la première édition, mais nous aimerions pouvoir proposer aux artistes une vraie structure de résidence artistique collective.