Flammes et retours de flamme: La revue des réseaux

© Julia Lasry

Bienvenue dans cette nouvelle Revue des Réseaux! 
Comme pour chaque édition, je vous retrouve pour prendre le pouls des réseaux sociaux et saisir ce qu’ils disent de notre drôle d’époque.

Par où commencer?

Parce qu’une séquence médiatique en remplace une autre – commençons par celle qui a fait du bruit ces dernières semaines: les élections législatives. 
Repéré durant la campagne, pendant que Jordan Bardella séduisait les foules sur TikTok, et que Glucksmann quittait la plateforme par refus d’y faire “le mariole”, la mobilisation des électeurs du Nouveau Front populaire pour faire barrage au RN était bien ficelée. 
Dans ma bulle de filtre [quand les algorithmes ne proposent que des contenus susceptibles de nous plaire], sur Instagram notamment, le militantisme en ligne s’est organisé, du côté des professionnels (médias, journalistes, influenceurs, leaders d’opinion) mais aussi d’individus comme vous et moi. Ce militantisme sur internet n’est pas neuf, mais s’étoffe, se professionnalise – à la mesure de la tension politique et sociale et de la polarisation du débat. 

Alliances et partages de visibilités (cf. les opérations en cross-post de Camille Etienne et Caroline de Haas), montages vidéo saisissants (comme celle-ci, co-produite par le réalisateur Nathan Ambrosionide, faisant témoigner un rescapé de la Shoah), de véritables campagnes de mobilisation pour les réseaux ont éclos pour discréditer le RN. Autre façon de faire barrage? Rendre sexy le Nouveau Front Populaire, mêlant argumentaires pédagogiques en carrousels, plan d’actions illustré, slogans lol (“Rien n’est plus doux qu’un bisou sur le front populaire”), stickers numérique “Hot people vote Front Populaire” à coller sur ses stories, etc. Des moyens à la hauteur de l’enjeu – avec les codes smooth et catchy des réseaux. Et on dirait que ça marche, comme l’ont montré les résultats et les félicitations des militants.

Raviver la flamme

Avez-vous vu passer les affiches pour le NFP ? Une initiative en ligne a proposé un site collaboratif pour créer et partager des affiches pour le Front Populaire. Les consignes? “Le ton sera joyeux, optimiste et le format 24×36. Les images ‘négatives ou agressives’ seront refusées”. Le but? Raviver la flamme en créant de nouveaux imaginaires politiques attrayants. Mais aussi une logique d’esthétisation compatible avec les codes standardisés des réseaux sociaux, pour mieux créer l’adhésion et la viralité. Un renouvellement du genre de la communication politique, qui emprunte aux codes de l’art, voire de la publicité (cf cette campagnes Mcdo), avec une esthétique lisse, aux couleurs saturées, dont le message est accessible en coup d’œil : très social média compatible. Beaux Arts en parle sur Linkedin: “hauts en couleur et en punchlines, ces visuels ont été largement relayés depuis quelques jours sur les réseaux sociaux”. La campagne “Ça non plus, on n’a jamais essayé” © Studio Parade (d’ailleurs mal imitée par le gouvernement Macron) m’évoque certaines couvertures de Toilet Paper.

La flamme

En parlant de flamme et de communication léchée… Coca Cola, partenaire des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024, a nommé 1500 porteurs de flamme. Parmi eux, Leon Lewkowicz, 94 ans, survivant du camp d’Auschwitz Birkenau, qui a passé son flambeau à Elise Goldfarb, entrepreneuse et petite-fille de survivants de la Shoah. Acclamés lors de leur mission, ils ont été également pris à partis par des passants –  évoquant Gaza.
Illana Weizman collecte dans un post Instagram la substantifique moelle de la haine antisémite et du négationnisme.

Quand ça brûle 

Une séquence médiatique en chasse une autre, oui. Et cet entre deux tours suivi de la période post-électorale a balayé sur son passage la guerre au Proche-Orient. Pourtant, ici aussi, sur les réseaux, se joue une mobilisation représentative de l’engagement autour du conflit, en France. Les personnes engagées pour Gaza usent aussi ces logiques marketing, avec de véritables kits de communication, imaginés avec des liens à épingler sur les profils, des cagnottes de soutien, listes de sites et de marques à boycotter, à “mettre en bio” pour, chacun, influencer à son échelle. C’est d’ailleurs le métier du studio perrineam.agency, créateur de contenu activiste que d’imaginer ces campagnes et outils.
Vu aussi ces derniers mois, des comptes de “Blockout” sur Instagram et Tik Tok“🇵🇸 Bloquons les célébrités silencieuses sur le génocide à Gaza”. Parmi les influents à punir: Pierre Niney, Aya Nakamura, Maître Gims, et Hugo Décrypte (d’ailleurs journaliste et non influenceur). Terrifiant.

L’antisémitisme au cœur 

Comment parler de cette campagne sans parler de l’antisémitisme? Dans mon fil, il était partout. Que retenir d’intelligent de ces dernières semaines? J’ai lu la touchante Lettre d’un français juif épuisé à son pays et à la gauche de sender_vizel qui pointe la violence inouïe de cette campagne envers les personnes juives. Les publications des Juifves Révolutionnaires — qui donnent envie d’être imprimés et distribués en masse. Parmi les nécessaires: Les juifs ne sont pas un argument de campagne ; “C’est quoi le bail avec Jean-Luc Mélenchon” et … celui qui résume très bien le gros problème du sk…sket… d’Aymeric Lompret et Blanche Gardin. 

Des dingueries 

À l’occasion d’une soirée de charité organisée pour Gaza par “Voice of Gaza”, a eu lieu un sketch, relayé sur les réseaux sociaux de l’ex-chroniqueur d’Inter, cumulant plus de 35.500 vues et et 3000 commentaires. Parmi ces derniers, un panaché d’émojis vomis, de tentatives d’explications au pourquoi c’est problématique, des félicitations et pleurs de rire. Qualifié  d’une “violence inouïe”, de “honte absolue”, les deux compères tournent en dérision l’antisémitsme, incitent le public à se dire “tous antisémites” (en applaudissant) – minimisant une réalité (dont il ne savent rien) et la mettant en concurrence avec une autre souffrance. Je vous laisse regarder cette séquence, soyez bien accrochés. Comment la comprendre? Quoi en tirer? J’ai cherché des réponses – peu nombreuses dans cet entre deux tours, où peut-être, certains ont préféré ne pas s’exprimer pour ne pas “casser” la gauche, quand les loups sont si près

J’ai trouvé, et eu l’occasion de visionner une vidéo très fine d’Akadem: “Meurice: généalogie d’une blague antisémite” par Jonas Pardo. L’occasion aussi de découvrir l’existance du média Léon, qui fait le parallèle entre les ressorts comiques de décrédibilisation de l’antisémitisme de Gardin et Lompret et ceux de Dieudonné. Lue aussi, Illana Weizman, le 16 juin 2024: “Depuis une semaine, je lis des dingueries. Des militant.e.s de gauche pondent des textes en se pensant très fin.e.s mais ne font que démontrer leur totale méconnassance du fonctionnement de l’antisémitisme et leur ignorance crasse de notre lutte. Le gaslight [ndlr: manipulation psychologique visant à faire douter une personne de sa propre réalité et de sa santé mentale] des goysplainers [ndlr: quand un non-juif explique avec condescendance l’expérience juive à une personne juive] qui viennent poser ce qui relève ou non de l’antisémitisme est ahurissant. Je pensais que l’idée c’était d’écouter les concernés, non? Non, on doit être trop cons pour savoir ce qu’on vit. (…) La lutte contre l’antisémitisme n’est ni un outil pour taper sur les minorités racisées, ni un rayon paralysant pour empêcher la gauche de gouverner”

Enfin, Sophia Aram. Moquée dans le sketch, taxée d’islamophobie, répond, elle, dans une tribune, La Croisade de Blanche: “Parce qu’on aura toujours besoin d’une petite Blanche de gauche, d’un Aymeric ou d’un Guillaume, pour expliquer à une petite Arabe ce qu’elle doit penser de l’islam et aux petits Juifs ce qu’ils doivent penser de l’antisémitisme. 🐪”

Allez, coupure estivale!
Si vous souhaitez partager votre veille: julia@tenoua.org.