Deux fictions récentes (Le Labyrinthe du Silence, 2014 et Fritz Bauer, un héros allemand, 2015) viennent rendre hommage au procureur Fritz Bauer (1903-1968) dont le rôle majeur dans l’arrestation d’Eichmann et le procès d’Auschwitz-Francfort est longtemps demeuré inconnu.
Fritz Bauer, juif et allemand, est contraint, après son exclusion de la fonction publique en 1933, de s’exiler au Danemark, puis en Suède. Il rentre en Allemagne en 1949 et participe à la reconstruction du système judiciaire. En 1956, il est nommé procureur général du Land de Hesse et va se consacrer à la recherche des criminels nazis aux fins de les traduire en justice.
Le film de Giulio Ricciarelli, Le Labyrinthe du Silence (qui, fruit du hasard, sort au moment même du procès d’Oscar Gröning, le comptable du camp d’Auschwitz, jugé à 94 ans) relate le long chemin qui mène au procès d’Auschwitz-Francfort (qui s’est déroulé de décembre 1963 à août 1965), le plus important des trois procès intenté par la justice allemande à des criminels nazis dans les années soixante. Ce procès se tient deux ans après le procès d’Eichmann à Jérusalem. Le film, une fiction d’une grande fidélité historique, met en scène des personnages réels (Fritz Bauer, Thomas Gnielka…) et des personnages fictionnels (le jeune procureur Johann Radmann, une figure composite de trois procureurs historiques).
Fritz Bauer est un idéaliste qui est persuadé de la fonction éducative du procès en Allemagne. Il affirme que le but ultime du procès était de montrer aux Allemands qu’ils auraient dû dire non au nazisme.
Dans le film de Giulio Ricciarelli, Le Labyrinthe du Silence, Fritz Bauer n’occupe pas la place centrale mais celle d’un père, d’un aîné, d’un sage guidant la jeune génération allemande incarnée par le procureur Radmann dans son enquête et sa recherche des criminels nazis. Ce film restitue le refoulement collectif du passé nazi qui règne en Allemagne dans les années soixante. Il montre également la lutte que doivent mener conjointement Radmann et Bauer au sein même du bureau du procureur pour obtenir les informations leur permettant d’arrêter des criminels de masse, qui ont été pour certains réintégrés dans la fonction publique. Ce film dépeint Fritz Bauer comme une figure solitaire, isolée, un homme à la fois discret, volontaire et menacé, qui voit en son jeune adjoint l’avenir de l’Allemagne. Ainsi, lorsque celui-ci lui demande « Pourquoi m’avoir choisi ? » il lui répond : « Parce que vous êtes né en 1930. Vous n’avez rien à vous reprocher ».
En 2015, c’est Lars Kraume, également allemand, qui réalise le film Der Staat Gegen Fritz Bauer, la traduction littérale étant « L’État contre Fritz Bauer ». Le titre du film en français, Fritz Bauer, un héros allemand relègue au second plan la lutte que mène Bauer contre des hommes puissants au sein du gouvernement pour obtenir l’arrestation et le jugement d’Eichmann en Allemagne.
Le film de Kraume se concentre plus sur la figure de Fritz Bauer, allant jusqu’à une ressemblance physique troublante. Tout comme dans Le Labyrinthe du Silence, Bauer apparaît menacé y compris dans son propre service, et totalement isolé dans son combat. Le film commence par des images d’archives, Bauer déclarant : « L’Allemagne est aussi le pays de Hitler, d’Eichmann et de leurs nombreux hommes de main. Mais de même qu’une journée est faite de jour et de nuit, l’histoire de chaque peuple est faite d’ombre et de lumière. Je crois que la jeune génération d’Allemands est prête à affronter tout son passé et toute la vérité, une chose que leurs parents ont souvent du mal à faire ».
Ces deux films ont la particularité d’avoir été réalisés par des cinéastes nés dans les années soixante-dix, tous deux originaires à la fois d’Italie et d’Allemagne, pays qui présentent des similitudes avec la France dans leur rapport à l’histoire et à la mémoire. Tout comme la France, l’Italie a en effet un passé de collaboration et de résistance, avec des arrestations menées principalement par les autorités locales et des narrations d’après-guerre favorisant le mythe de la résistance et de l’innocence nationale.
En tant qu’Allemands, ils semblent endosser une responsabilité vis-à-vis de leurs ancêtres, celle qu’évoque le personnage du procureur Johann Radmann lorsqu’à la question du procureur en chef : « Chaque jeune allemand doit-il se demander si son père est un assassin ? », il répond : « Oui, je veux que ces mensonges et ce silence cessent enfin ». Ou encore lorsque, dans une interview, Lars Kraume affirme : « Tôt ou tard, tout réalisateur allemand se préoccupe du nazisme », faisant ainsi écho aux paroles de Angela Merkel devant la Knesset en 2008 : « Nous autres, Allemands, la Shoah nous emplit de honte ».