Dans l’émission Le grand face-à-face sur France Inter, samedi 4 novembre, l’intellectuel et Secrétaire général de la Fondation Jean Jaurès, Gilles Finchelstein, a fait un pas de côté pour livrer son témoignage personnel de Français juif de gauche. Avec son amicale autorisation, nous reproduisons ici ses propos légèrement reformulés avec sa validation.
“Nous débattions sur ce que le conflit faisait à la France. Je voudrais exceptionnellement m’interroger sur ce que ce conflit me fait à moi en tant que Juif.
Si je tiens à le faire, c’est parce que, sans doute pour la première fois, je me sens assigné à cette catégorie de “juif”.
Je m’y sens assigné alors que, si je suis culturellement juif et si c’est une partie constitutive de mon identité, je suis totalement athée et même totalement rétif à toute idée de communauté.
Je m’y sens assigné alors que, par ailleurs, si je suis sentimentalement attaché à Israël, je suis politiquement extrêmement critique par rapport aux dérives d’extrémisme à la fois politique et religieux de ce pays.
D’où vient ce sentiment d’assignation ?
Je m’y sens assigné par les autres – y compris lorsque, de manière très généreuse, tant d’amis m’ont appelé après le 7 octobre pour prendre de mes nouvelles. C’est classique.
Mais je m’y sens également assigné – et c’est un élément très intéressant – par moi-même.
Je me sens en effet profondément affecté par ce qui se passe.
En tant qu’humaniste et, pour le coup, par les enfants tués aussi bien à Gaza qu’en Israël.
Mais aussi – c’est ce qui me frappe – en tant que juif. Ce qui s’est passé le 7 octobre ce sont des pogroms : les terroristes du Hamas sont allés chercher, torturer, assassiner des enfants, des femmes, des hommes parce qu’ils étaient juifs. Ce qui s’est passé au Daghestan quand cet avion [arrivant d’Israël] a été pris d’assaut, c’était aussi une tentative de pogrom. Et tout cela résonne, pour moi mais évidemment pour beaucoup d’autres, avec une histoire de famille : ce que mes grands-parents ont fui, en quittant la Roumanie et en émigrant en France, ce sont précisément des pogroms.
J’ajoute un dernier élément qui d’une certaine manière boucle la boucle.
Ils ont émigré en France, pays de leurs rêves et pays des libertés.
Or, pour la première fois, je me sens fragilisé en tant que Juif en France.
Non pas – il faut garder le sens de la mesure – que l’antisémitisme soit plus présent aujourd’hui : il est beaucoup moins présent dans l’opinion qu’il ne l’était il y a 50 ans.
Mais parce que les actes antisémites ont fleuri de manière spectaculaire depuis le 7 octobre.
On n’a même pas réfléchi à quelque chose qui nous semblait évident: le jour de ces assassinats, qu’est-on allé protéger? Des synagogues. En quoi est-ce logique? On aurait pu dire qu’on allait protéger des mosquées contre des réactions, mais non, on est allé protéger des synagogues.
Il y a eu plus de 800 actes antisémites qui ont été commis depuis le 7 octobre.
Il y a donc quelque chose qui vacille.
Je ne sais ce que vaut ce témoignage.
Il est évidemment terriblement singulier : je suis juif, ashkénaze, athée, de gauche, autrement dit je suis une minorité d’une minorité d’une minorité !
Mais il peut peut-être avoir une portée plus universelle si on mesure, alors qu’on n’est malheureusement sans doute qu’au début de ce conflit, la nécessité de garder à la fois son humanité et une capacité d’empathie, c’est-à-dire une capacité à se mettre à la place des autres.”
L’intégralité de l’émission est disponible sur le site de France Inter. Le passage reproduit ici débute à 16 mn 19 s.