Haran Kislev est un artiste que nos lecteurs ont déjà croisé dans les pages de Tenou’a. Il est aussi un habitant du kibboutz Be’eri si violemment attaqué par les terroristes du Hamas samedi dernier. Haran, sa femme et ses enfants (7 et 10 ans, tous deux natifs de Be’eri, comme lui) sont parvenus à se terrer chez eux durant l’attaque, pendant des heures interminables, et à échapper à cette mort qui frappait littéralement à leur porte.
Dans une lettre envoyée à sa galerie, la galerie Zemack, il décrit l’effroi de cet inimaginable. L’équipe de Zemack et Haran nous ont permis de partager avec vous ce texte en le traduisant en français.
Ma galerie adorée,
Depuis des années, je suis un artiste qui peint l’essence de la peur. Je peins mon environnement: Gaza, à seulement quelques centaines de mètres, son camp de réfugiés, et la route entre eux et nous, imprégnée de l’anxiété omniprésente qui plane sur nos vies.
Cet environnement hante mon esprit depuis des années, ne m’offrant guère de répit. Quelque chose vous saisit lorsque vous choisissez de peindre la peur: une capitulation momentanée, une libération de l’obscurité qui réside dans les pensées et l’imagination. C’est comme si, en laissant un peu s’exprimer cette peur, un petit rayon de lumière pouvait se frayer un chemin vers l’intérieur.
Mais ce répit est éphémère et totalement conscient. Une fois que la peinture est terminée, qu’elle exprime pleinement la profondeur de mon angoisse, cela cesse, je peux retourner à ma maison, à mes enfants, à ma famille, et alors c’est comme si tout allait bien, comme si tout était à nouveau en ordre, comme un tout protégé.
Puis, un samedi, le dernier, tout s’est effondré. En un instant, j’ai réalisé à quel point mon imagination était faible encore, que même si je peins comme si je “savais imaginer”, je n’étais vraiment pas allé assez loin dans les profondeurs de l’inimaginable. La réalité est soudain venue m’enseigner une sévère leçon: qui aurait pu s’imaginer suppliant ses enfants de ne pas faire de bruit, de ne pas bouger, tandis que des coups de feu étaient tirés tout autour de nous? qui aurait pu imaginer qu’à chaque seconde se jouaient la vie ou la mort, dépendant du moindre son, du moindre mouvement?
Les terroristes frappaient déjà à ma porte et je réalisais que c’était ça: encore une minute, vraiment vraiment juste une minute et nous “partirions” avec les enfants, encore un instant, vraiment vraiment juste un instant et, avec les enfants, nous…
*… je ne peux pas finir cette phrase, parce que je me disloque. Parce que si je finis cette phrase, alors cette réalité resurgira peut-être dans la pièce et je n’aurais peut-être pas la force cette fois de retenir la porte et alors ils entreront.
Je vous aime tellement ❤️
Haran