En février dernier est paru sur le label new-yorkais Tzadik l’album Blasphemy and Other Serious Crimes, deuxième opus du groupe également new-yorkais nommé Pitom, terme qui exprime en hébreu la soudaineté, l’irruption. De fait, le caractère éruptif de la musique proposée par ce groupe ne fait pas l’ombre d’un début de discussion (talmudique) tant un déluge de notes et d’harmonies tour-noyantes inonde l’auditeur dès les premières secondes d’écoute.
À la tête de Pitom se trouve Yoshie Fruchter, jeune guitariste originaire de Washington D.C. qui a élu en Brooklyn la terre promise des rencontres les plus osées entre le rock, le punk, les gammes de mélodies d’inspirations orientale et klezmer. Yoshie Fruchter revendique de nombreuses références qui parleront autant aux amateurs du rock progressif des années soixante à quatre-vingts (de l’incontournable Frank Zappa à Led Zeppelin), qu’à ceux qui révèrent – parfois en secret, comme un reste d’adolescence rageuse non encore pleinement entamée par l’âge adulte – le style grunge dans le sillage du légendaire groupe Nirvana. Ces allégeances, Pitom les trouble néanmoins en les faisant asseoir à d’autres sources, plus explicitement juives, embrassant en un tout homogène la tradition cantoriale dont Yoshie Fruchter, qui a eu une enfance orthodoxe, a gardé un souvenir lyrique transposé notamment dans les trémolos de sa guitare, et le répertoire de Masada de John Zorn, saxo phoniste et gourou de la scène des musiques juives new-yorkaises depuis une vingtaine d’années.
Blasphemy and Other Serious Crimes est assis sur une section rythmique (l’extraordinaire Shanir Ezar Blumenkranz à la basse électrique, Kevin Zubek à la batterie) d’une rare solidité et élasticité permettant aux solistes (Fruchter, Jeremy Brown au violon et alto) de s’envoler vers des motifs lyriques à l’écart, ou presque, de toute démonstration inutile. « Head in the Ground », troisième morceau de Blasphemy, est emblématique de cette manière : le violon faisant mine de déraper y est vite emporté par une furia menée tambour battant par un power trio pointant en direction des fulgurances du guitariste Marc Ribot – là encore, l’une des influences directes de toute une cohorte de guitaristes actuels où l’on compte, outre Yoshie Fruchter, Jon Madof, Eyal Maoz et, côté français, Alexandre Wimmer (Zakarya) ou encore David Konopnicki (AutoRyno).
Reste la question, non pleinement résolue, de l’absolue nouveauté de cette musique qui, pour témoigner de l’engagement sincère de ses protagonistes et de qualités d’arrangement indéniables, semble moins dans l’interrogation que dans la recherche d’une énergie musicale férocement contagieuse. On ne sera ainsi guère étonné de découvrir que cet album devait constituer pour son auteur un hommage sonore au Yom Kippour, envisagé, semble-t-il, plutôt sous l’angle d’une transe collective du corps et de l’esprit que comme un engagement au questionnement solitaire.