I can buy myself flowers, Write my name in the sand, Talk to myself for hours, Say things you don’t understand (…) Yeah, I can love me better than you can.
Bienvenue dans cette nouvelle Revue des réseaux ! Si vous avez ouvert Instagram ou Tik Tok récemment, vous comprenez aisément pourquoi Flowers de Miley Cyrus en sera la bande sonore. Utilisée dans plus de 2,7 millions de reels (les vidéos courtes sur Instagram), cette chanson dit quelque chose de notre époque. Elle parle d’amour de soi, d’émancipation et de self care, à l’heure où 26,5 % des jeunes femmes de 18 à 24 ans souffrent de troubles dépressifs. Est-ce pour cela qu’elle est tant appréciée sur les réseaux sociaux ?
Je me suis posé la question, à force de l’entendre en scrollant. Et cela m’a amenée à me demander : Qui sont les femmes qui façonnent mes réseaux sociaux? Quels sont leurs combats? Comment jouent-elles avec leurs identités? Avec leur religion?
Petit tour d’horizon.
N’hésitez pas à partager votre veille avec nous, en m’écrivant à julia@tenoua.org
Pics d’anorexie et de consultations aux urgences pour idées suicidaires post confinement, augmentation des phobies scolaires… Les manifestations des troubles de la santé mentale des jeunes – et surtout des jeunes femmes – sont multiples. Les causes aussi ; et il est prouvé que les réseaux sociaux n’arrangent rien à l’affaire. (Si vous n’avez pas vu le documentaire Arte La foire aux vanités, je vous le recommande).
Pourtant, les réseaux sociaux sont aussi un espace pour dédramatiser, voire pour tenter d’aller mieux. Dans la même veine que la libération de la parole sur les agressions sexuelles, on assiste depuis quelques années, en ligne, à un basculement de la publicisation du débat de la santé mentale (cf. @payetapsychophobie, @sadgirlsclub, @millennial.therapist…), à des espaces d’expression, de témoignages, comme autant de safe places d’entraide et de soin.
Concomitamment, comme pour contrecarrer tout ce mal-être, on assiste à une esthétique de la standardisation de la douceur, notamment sur des comptes dédiés au bien-être mental et à l’astrologie, qui se multiplient. Vous savez, ceux qui nous susurrent des citations motivantes, qui nous aident à identifier « les red flags des relations toxiques », à prendre soin de son real and only love (= nous-même), ou que tout ça, c’est peut-être juste Mercure qui rétrograde…
Cette nouvelle production de discours (qui circule jusque dans les collections des marques et dans de nouveaux business) peut s’apparenter à une nouvelle forme de spiritualité. Un ensemble de discours normatifs sur des pratiques intimes, avec ses dogmes, ses rites, ses valeurs, sa communauté – qui cherche à aller mieux et à donner du sens à une époque violente et instable. Dans cette nouvelle religion, Miley Cyrus pourrait être une officiante, une guide qui donne des directions, à l’heure où la santé mentale des jeunes décline comme la pluie en février.
Bon allez, vous avez peut-être envie de quelque chose d’un peu plus léger… Êtes-vous, vous aussi, secrètement fasciné par certains influenceurs ? Moi c’est Noémie Elicha
(@noemieelicha_shop), ex-Toulousaine, partie vivre son Israeli Dream avec son mari (l’un des fondateurs de The Kooples) et sa tribu de sept garçons, tous de black vêtus. Elle partage ses looks de star tsniout [modestie religieuse] mi-punk, mi-princesse, ses bonnes adresses perruques, ses recettes kasher, etc. Sa bio : « Modesty, religion and style ». Un lien unilatéral, familier me lie à elle. Parce qu’elle partage les codes des réseaux auxquels je suis habituée (selfie miroir, sapée comme jamais) et des moments spontanés et choisis de son intimité (comme le coucher de ses enfants qui disent le shema à tour de rôle avant d’éteindre la lumière). Elle incarne un paradoxe, entre l’expansivité de ses tenues, de son mode de vie et la modestie qu’elle affiche, qui la rend insaisissable et hypnotisante, par sa liberté de jouer avec les codes des réseaux et de la religion. Allez j’y mets un petit bémol : bien que hors du commun, ce qui est montré sur son compte est une vision de la famille et du couple archi-normée, où la femme reste cantonnée à des sujets très domestiques et le vit, somme toute, très bien.
Souvent, le web est un terrain anthropologique. En discutant avec des membres du comité édito (dont je tairais le nom pour conserver l’intégrité de leur street-cred intello ashkénaze), j’ai découvert pléthore de jewish moms et de couples orthodoxes influenceurs, mettant en scène leur famille et leur judaïsme. Tous plus captivants les uns des autres. Partageant la recette de la hallah (@challah.mom), leur empowerment grâce au turban sur leurs cheveux et… leurs sites e-commerce (maillots tsniout, bagues de mariage, et même des NFT !).
Qu’elles vivent à Paris, aux États-Unis, en Israël, en Australie, ces femmes utilisent les mêmes rouages bien huilés que les influenceuses les plus successfull – entre partage de leur quotidien et de leurs codes promos.
Sous les smileys tous azimuts, se joue un challenge de pureté et d’un judaïsme qui se compare comme une parure. Dis-moi comment tu pratiques, je te dirai qui tu es.
Sur le compte Instagram de @mosesandzippora, le couple orthodoxe vulgarise comme Fred & Jamie la pratique de la religion juive. Peut-on se doucher à shabbat ? Comment faire du sport en restant modeste ? Un garage a-t-il besoin d’une mezouza ? Comment compter les jours où nous ne pouvons pas nous toucher ? Dans cette dernière vidéo, le couple présente une application qui aide à monitorer les douze jours où ils doivent rester séparés selon le cycle menstruel. « C’est vraiment un must have pour les familles qui choisissent de conserver la pureté de la famille (…) et je pense que chaque famille juive devrait, bien sûr, conserver cette pureté », dit l’époux. Sa femme le supplée : c’est pour conserver un mariage « fresh and sparkly » – de la fraîcheur et des paillettes, donc. Dans les commentaires, la petite sociologie du web se poursuit. J’y ai découvert les remarques d’autres femmes (y compris des non-juives) comparant leurs pratiques religieuses : « En tant que musulmans, nous n’avons pas de rapports sexuels pendant le cycle seulement qui est d’environ 5 à 7 jours (…) mais nous nous étreignons, nous nous touchons, nous nous câlinons et nous dormons dans le même lit ».
Chose promise, chose due, voici un peu de gaîté. Élise & Julia (@elisegoldfarb et @julialayani, influant duo de meilleures amies revendiquant leur judaïsme et leur homosexualité, dont j’ai déjà parlé ici) ont, elles aussi, bien milité, pour la promo de leur livre Coming Out, qui compile les témoignages recueillis dans leur podcast éponyme. Un podcast passionnant, où l’on peut entendre des personnalités (Augustin Trapenard, Laurent Ruquier…) parler de leur coming out, mais aussi des anonymes, comme Rina, mère juive qui a failli ne « jamais se relever » de celui de son fils.
L’objectif : multiplier les rôles modèles dont elles ont manqué, en tant qu’ado ayant grandi dans un milieu religieux. Et tant que ce sera encore un acte de bravoure, avez-vous aussi liké le post facebook du journaliste Yaïr Cherki, fils d’un rav israélien, qui a fait son coming out sur Facebook ? « Je tremble en écrivant ces mots (…) J’aime les hommes, et j’aime Dieu (…) et ce n’est pas contradictoire. »
Flower to the people !