En février 2020, vous lancez avec trois amies militantes le hashtag #MonPostPartum en réaction à la censure d’une publicité américaine pour des produits post-partum1… Ce cri technologique a eu l’effet d’une bombe !
J’étais très en colère de voir que cette publicité anodine ait pu être censurée. Car ce n’étaient pas les images qui l’étaient, mais le post-partum en soi qui posait problème, on ne pouvait ni l’afficher, ni en parler. Deux ans auparavant, j’avais vécu le mien, long et douloureux, et j’ai alors réalisé que nous n’avions ni représentations ni modèles auxquels nous raccrocher, contribuant ainsi à ce qu’on se sente mal, anormales, isolées… Par réaction épidermique, j’ai donc posté des photos de moi en culotte-filet sur les réseaux sociaux2 et au vu des témoignages suscités, j’ai su que c’était un sujet à creuser. Nous avons alors lancé le hashtag #MonPostPartum. En 24 heures, plus de 10 000 personnes l’avaient utilisé. Puis j’ai reçu cette proposition éditoriale permettant de passer du temps des réseaux, plus spontané et intense, à celui de l’analyse posée afin de comprendre ce tabou, en tirer les ficelles pour admettre qu’il y a tout un système qui nous met là et savoir comment on en sort aussi.
Cette invisibilité du post-partum, que dit-elle de notre société ?
Cela dit que le post-partum est impensé comme s’il n’existait pas. Et de faire croire que la période post-accouchement n’existe pas, cela signifie que les femmes sont enjointes à enfanter (sous peine de ne pas être de vraies femmes). C’est notre assignation suprême de genre. Mais ce qui se passe derrière, dans nos corps et nos esprits, cela, on refuse de le voir. Quand on déploie des assignations aussi puissantes, il faut une mythologie autour qui le soit tout autant. Celle que l’on retrouve dans les sociétés occidentales lie la souffrance à la condition de la femme mais aussi à celle de la mère. Il y a cette idée de la mère sacrificielle dont l’individualité n’existe plus quand son enfant naît et qui doit s’effacer face à l’existence et aux besoins de cet être ; et cela va plus loin en ce qu’elle n’a pas le droit de s’en plaindre. Car s’en plaindre ce serait – on me l’a reproché – cracher aux visages de femmes qui ne peuvent pas avoir d’enfant ou qui ont des difficultés plus grandes que les siennes. Un seul discours est autorisé quand on est mère : celui du bonheur maternel, de l’extase et de la plénitude. C’est faux ! Je dis que la maternité peut être exaltante mais est aussi synonyme de grande solitude, d’aliénation. Et ça, ce n’est pas audible.
Le corps déformé après l’accouchement, avec les fluides qui s’en échappent, ne peut pas, lui non plus, être montré ?
Ce corps participe du tabou de l’expérience post-partum au global parce que, tout d’abord, il n’est plus esthétique et ne répond plus aux standards de beauté conventionnelle. Il offre un ventre affaissé, dégonflé, qui n’est plus tendu et glorieux comme lorsqu’on est enceinte. Il y a des vergetures, des marques et, effectivement, des fluides ; or on connaît les tabous qui pèsent notamment sur le sang utérin. Ensuite, ce corps n’est plus productif. Et, dans cette société patriarcale et capitaliste, le corps d’une femme doit l’être pour gérer le foyer, la charge parentale, la charge sexuelle. Mais ce corps n’est plus disponible à la sexualité, tout du moins dans un premier temps, à cause des pertes de sang, parce que le périnée est diminué et qu’il n’y a pas de libido après qu’un nourrisson est passé par notre vagin –pourtant on fait face à la culpabilisation et l’injonction des gynécologues et sages-femmes à vite reprendre une sexualité. Donc ce corps qui n’est plus ni esthétique ni productif, n’a plus rien pour lui. De plus, il a rempli sa fonction première qui est d’enfanter.
L’impréparation des femmes à la maternité est l’une des problématiques. Documenter et enseigner la matrescence est-elle une solution ?
On nous prépare à l’accouchement pendant plusieurs semaines mais l’accouchement lui-même n’est circonscrit qu’à quelques heures. A contrario, on ne nous prépare pas du tout à l’après qui dure pourtant beaucoup plus longtemps. Quand je reprends dans le livre le terme de matrescence – développé par une antropologue américaine, Dana Raphael, dans les années soixante-dix – c’est vraiment l’idée du passage identitaire de la femme à la mère, comme à l’adolescence l’enfant passe à l’âge adulte. Ce changement est neurologique, culturel, sociétal et définitif, puisqu’on ne retrouve jamais notre identité précédente, même si on essaie de recoller les deux. Nous ne sommes pas préparées à ce bouleversement, ni accompagnées par la société dans son ensemble – il s’agit pourtant bien de politique globale. Et l’idée serait que les pères soient aussi impliqués que les mères, que la société fasse en sorte qu’ils le soient. Ce serait la patrescence, car l’instinct maternel n’est ni génétique, ni biologique.
Le combat passe-t-il par le militantisme ?
Si c’est moins vrai aujourd’hui, pendant un temps, quand on devenait mère, on sortait du champ du féminisme. Mais, depuis 2017 en France, on voit beaucoup de militantes s’emparer de ces questions de la maternité. La maternité est politique, l’intimité est politique, nos grossesses et nos expériences corporelles sont politiques, nos corps le sont aussi et c’est de plus en plus revendiqué. J’ai lu récemment La Puissance des mères de Fatima Ouassak3, qui traite de l’intersection entre la maternité et le racisme ; la sociologue israélienne Orna Donath a écrit un ouvrage, Le regret d’être mère4, sur des femmes qui ne sont pas dans l’ambiguïté mais le regret maternel. La problématique du post-partum existe en soi mais vient avec tout un tas d’autres éléments qui ne vont pas dans le sens d’une maternité merveilleuse, fluide, exaltante : la PMA, les fausses couches… Il y a un renouveau sur ces questions de maternité que je trouve revigorant.
Propos recueillis par Noémi Lecoq
1. Frida Mom | Oscars Ad Rejected (retour au texte)
2. Instagram (retour au texte)
3. La puissance des mères, Pour un nouveau sujet révolutionnaire, La Découverte (retour au texte)
4. Le regret d’être mère, Odile Jacob (retour au texte)