2063, les handicapés n’existent plus.
Aujourd’hui grâce à cette stupéfiante avancée, on peut marcher tranquille dans la rue, les enfants jouent au parc sans se demander qui est cet olibrius venu de la planète Chelou, et surtout, l’école est redevenue un lieu d’apprentissage.
Avant la disparition des handicapés, l’école était un terrain d’affrontement. D’un côté les parents que le désespoir faisait jeûner en haut des grues, de l’autre les administrations qui se cachaient derrière le manque de personnel, la lenteur des notifications, l’insuffisance des formations, l’inaccessibilité des lieux, la fatigabilité des entravés, bref à peu près tout sauf le réchauffement climatique. Même si la canicule empêchait aussi une présence en classe.
Pour les élèves nés vraiment trop de travers, l’école était une fausse bonne idée et feu le Ministère de l’Éducation refilait le bébé à re-feu le Ministère de la Santé. Par la force des bureaux et du symbole, ils n’étaient plus des élèves mais des malades et le plus souvent ils restaient chez eux, faute de place. Les enfants tournaient en rond, les parents en bourrique, et les situations au drame.
Cette situation ne pouvait plus durer. Pas la « situation de handicap » évidemment, puisque dans les années 2030 on avait au moins réalisé qu’une personne handicapée n’est pas un GPS. Bipbip quelle est votre position ? Je suis en situation de handicap. C’est où ? Chépa. OK, on laisse tomber.
C’est à ce moment que se déroula la révolte des « je suis Alouette » (en hommage à la fermeture de l’IME du même nom au profit d’un musée de la mode). Des milliers de personnes handicapées venues de toute la France se réunirent place de la République.
Un véritable défi à une époque où la plupart des transports étaient dépourvus de rampes d’accès, d’ascenseurs et j’en passe. La rue était envahie de déformés, de bruyants, de bavants, de signants, de roulants, de watzefeuque en tous genres. Les médias nationaux relayèrent l’évènement et les médias internationaux relayèrent le relais national. Soudain les milliers devinrent des milliards sur toutes les places du monde. Une espèce de coming out géant, une sortie de placard mondiale pour tous les empêchés.
Impossible de regarder ailleurs.
C’est là que les handicapés ont disparu. Il n’est resté qu’une foule. Des hommes, des femmes, des enfants. De véritables personnes, victorieuses chaque jour d’un défi permanent. Des êtres humains avec des difficultés, des besoins, des envies, des passions, des dégoûts, des amours, des joies… Des sentiments. Mais qui n’en a pas ?
Et puis la foule s’est dispersée et le temps a passé. Les enfants qui découvraient le cortège des tordus sont devenus des parents. Leurs enfants sont nés avec les yeux ouverts et depuis, l’inclusion n’est plus un combat. C’est un souvenir.