70 ans après la libération des camps et la victoire sur le nazisme, la Fondation pour la Mémoire de la Shoah et la Fondation pour l’innovation politique ont coordonné une grande enquête internationale portant sur la mémoire du xxe siècle. Plus de 31 000 jeunes de 31 pays* ont été interrogés sur leur perception des événements marquants de notre histoire récente. Les résultats de cette étude, intitulée « Mémoires à venir », ont été présentés le 21 janvier 2015 au Collège des Bernardins.
Quelles sont les principales conclusions de cette enquête? Si les jeunes sont nombreux à estimer que leurs connaissances historiques ne sont pas approfondies, on peut dire que, pour nombre d’entre eux, ils savent l’essentiel. Ainsi, l’importance de la Shoah dans l’histoire de la Seconde Guerre mondiale est très largement reconnue, particulièrement en France où 88 % des jeunes ont cité la Shoah comme le fait le plus important de la guerre (66 % pour l’ensemble des personnes interrogées). À l’image des génocides des Arméniens et des Tutsis, la Shoah est généralement bien identifiée en tant que génocide. Là encore, la France se démarque positivement avec des taux de reconnaissance avoisinant les 95 % pour chacun des trois génocides. L’ampleur et la nature de ces crimes contre l’humanité sont donc massive- ment connues et reconnues par les jeunes d’aujourd’hui.
L’autre enseignement important de cette étude tient dans le rôle essentiel de l’institution scolaire dans la transmission de l’histoire. Pour les jeunes, l’école reste de loin le principal vecteur de connaissances sur les deux guerres mondiales; le second étant les œuvres documentaires (livres, films, témoignages directs). Suivent, à peu près au même niveau, les recherches sur Internet, la transmission familiale et les œuvres de fiction. Les Français citent assez peu Internet (12 %) mais davantage les visites sur les lieux historiques (23 %). Notons que le poids d’Internet est particulièrement marqué en Inde et en Chine. Cela constitue un enjeu de taille pour la transmission de l’histoire, dans la mesure où Internet est à la fois un formidable outil de connaissance et le déversoir des théories les plus nauséabondes.
De manière générale, les jeunes ayant participé à l’enquête ont identifié correctement le caractère criminel des régimes totalitaires. Comme pour l’ensemble des questions posées, les résultats doivent être interprétés en fonction du contexte historique et politique de chaque pays, qui façonne la mémoire locale. Ainsi, les Chinois et les Russes sont bien plus enclins à ne pas considérer que « les régimes communistes ont provoqué la mort de millions de personnes ». Il faut toutefois souligner que plus d’un tiers des jeunes Chinois ont reconnu le caractère meurtrier de ces régimes.
L’évaluation du rôle des démocraties au cours de l’histoire est, elle aussi, loin d’être univoque ou enjolivée. Nombre de jeunes, y compris en Europe (37 %), estiment qu’elles ont causé des millions de morts. Peut-être ont-ils à l’esprit la boucherie de la Première Guerre mondiale, les bombardements d’Hiroshima et de Nagasaki, la colonisation ou, plus près de nous, les guerres en Irak. Cette vi- sion critique se double d’une forme de pessimisme, la majorité des jeunes (57 %) considérant qu’une troisième guerre mondiale est possible.
Interrogés sur les événements intervenus depuis 1989, les jeunes se disent particulièrement marqués par les attentats du 11 septembre 2001. La crise économique et financière de 2008 est citée en deuxième, avec une prégnance particulière dans les pays les plus touchés. Viennent ensuite la chute du Mur de Berlin, l’éclatement de l’empire soviétique et la création de l’euro. Si l’importance de chacun de ces événements est perçue différemment en fonction des pays des répondants, elle ne s’y réduit pas. Les attaques du 11 septembre, l’accident nucléaire de Fukushima ou l’élection de Barack Obama ont marqué les consciences au-delà des pays concernés car la portée médiatique et l’impact politique de ces événements furent mondiaux.
L’étude a également permis d’identifier les valeurs auxquelles les jeunes sont at- tachés et leur vision de l’avenir. Ainsi, les jeunes ont une vision positive de la mondialisation et la considèrent très largement (72 %) comme une opportunité; les Français étant sur ce point les moins optimistes en Europe. Dans leurs réponses, les jeunes interrogés, et notamment les Français, ont aussi exprimé une grande tolérance vis-à-vis de ceux qui sont différents d’eux du fait de leur origine, de leur croyance religieuse ou de leur orientation sexuelle.
Conscients de l’ampleur des drames qui ont frappé le xxe siècle – même s’ils n’en ont parfois qu’une connaissance imparfaite –, les jeunes semblent donc porteurs d’une vision critique de l’histoire. Critiques, ils le sont aussi vis-à-vis de leur propre pays, ce qui les conduit parfois à contredire l’histoire « officielle » telle qu’elle leur fut enseignée. Ainsi, un tiers des jeunes Turcs qualifient de génocide le massacre des Arméniens en 1915, un résultat encourageant quand on connaît l’ampleur de la propagande turque sur la question. Sans illusion quant à une hypothétique paix mondiale, les jeunes semblent néanmoins désireux de prendre leur place dans un monde ouvert, tolérant et globalisé. Loin de tourner le dos au passé, ils sont unanimes à considérer qu’il est essentiel de connaître l’histoire pour éviter de reproduire les erreurs du passé, honorer la mémoire des victimes et apprendre à respecter ceux qui sont différents de nous. Pour eux, l’école reste le moyen le plus efficace pour transmettre cette histoire.
Fondation de la mémoire de la Shoah
La Fondation pour la Mémoire de la Shoah a été créée en 2000. Sa dotation provient de la restitution des fonds en déshérence issus de la spoliation des Juifs de France. La Fondation soutient des projets dans six domaines : la recherche historique, l’enseignement, la transmission de la mémoire, la solidarité envers les survivants de la Shoah, la culture juive et la lutte contre l’antisémitisme. Depuis sa création, la Fondation a financé plus de 3000 projets. www.fondationshoah.org
*Originaires d’Europe, de Russie, d’Amérique du Nord, d’Israël, de Turquie, de Chine, d’Inde, du Japon et d’Australie, ces jeunes étaient âgés de 16 à 29 ans au moment de l’enquête.
N.B.: Toutes les données de l’enquête « Mémoires à venir » sont librement accessibles sur www.fondationshoah.org