LA SOUCCA OBJET D’ARCHITECtURE

À LA QUESTION POSÉE, « EN QUOI LA SOUCCA EST-ELLE UN OBJET D’ARCHITECTURE? », je répondrais: la soucca « est l’Architecture » dans sa définition originelle la plus profonde. L’architecture comme « objet » est une déformation contemporaine oublieuse de sa fonction primitive consistant à protéger l’homme du monde hostile.
En outre la tradition juive nous enseigne que seuls les objets et non les lieux sont susceptibles d’impureté. La soucca, lieu éphémère ne peut être assimilée à un objet. Joseph Rykwert, dans son ouvrage Adam’s House in Paradise1 en écho aux propos de l’Abbé Laugier, établit les nombreuses références de cabanes dont la soucca comme expression des origines de l’architecture.
Laugier dans son Essai sur l’architecture dès 1755 nous invitait déjà avec insistance à retourner à l’origine de l’architecture soit: la simple cabane rustique.

Ni le Temple, ni le Tabernacle ni la soucca ne sont des objets architecturaux mais des représentants d’une représentation partagée.
L’architecture fabrique avant tout des dedans et l’espace juif n’existe que par l’apport d’objets rituels dans des espaces généralement existants ou neufs édifiés sans règles constructives spécifiques.

Les traditions juives de la mezouza et de l’eruv, célébrations du seuil et des limites, sont le fait d’« objets » marqueurs efficaces. Ces dispositifs laissent à la soucca, construction éphémère pendant une semaine, la vertu de célébrer l’accueil et d’expérimenter l’ombre comme présence immatérielle de Dieu.

On peut donc distinguer trois caractéristiques de la cabane de Souccot, son caractère de construction éphémère, son invitation à l’accueil des autres et surtout l’expérience de l’ombre.

L’OMBRE
Lorsque l’homme sorti de sa caverne, il bâtit une cabane pour se faire de l’ombre, mais on peut entendre à propos de la soucca ce qu’écrit Jacques Lacan dans son essai Sur la théorie du symbolisme d’Ernest Jones:
« Cet édifice nous sollicite. Car pour métaphorique qu’il soit, il est bien fait pour nous rappeler ce qui distingue l’architecture du bâtiment: soit une puissance logique qui ordonne l’architecture au-delà de ce que le bâtiment supporte de possible utilisation. Aussi bien nul bâtiment, sauf à se réduire à la baraque, ne peut-il se passer de cet ordre qui l’apparente au discours. » 2
La soucca au-delà de son signifié d’abri, d’accueil, est transformée par la magie des règles régissant sa couverture, le skhakh, en un dispositif révélant par l’ombre la présence de l’invisible soit Dieu.

Le traité Souccot précise la qualité de l’ombre qui doit être équivalente à celle de la lumière offrant ainsi la possibilité de voir les étoiles, ouvrant la nuit ce lieu à l’infinitude autre version de Dieu.
Le côté archaïque de la construction acquiert par ce dispositif une dimension spirituelle qui le transforme en une architecture sublime et en quelque sorte magique. La célébration de l’immatérialité de l’ombre devenue présence d’une absence inscrit ce lieu non seulement comme substitut de la mémoire de l’exode mais comme une expérience spirituelle.

La tradition de composer avec la lumière dans les architectures traditionnelles religieuses est classique. Les architectures romanes et gothiques en ont fait l’une de leurs caractéristiques. Mais la qualité archaïque et primitive de la cabane de Souccot s’installe comme le marqueur de la réconciliation de la vie quotidienne au cœur de ce piège de l’immatériel, l’ombre.

De nombreux traités sur le tracé des ombres accompagnent les architectes pour les dessins de rendu réaliste des façades de leurs bâtiments sans avoir perçu la dimension symbolique des ombres.
L’écrivain Jun’ichiro Tanizaki rédigea en 1933 L’éloge de l’ombre qui contribua à faire percevoir la subtilité de l’ombre dans les espaces vécus et perçus japonais. Plusieurs artistes contemporains dont James Turrell au Musée Juif de Jérusalem (Space that see, 1992) ont réalisé des dispositifs de mise en valeur de la contemplation du ciel, du soleil et d’étoiles comme l’un des matériaux de leur œuvre.
Seul le traité des fêtes de Souccot a su mesurer l’importance de la présence des ombres pour leur dimension spirituelle.

1 Joseph Rykwert, La maison
d’Adam au Paradis, Éditions du
Seuil, 1976
2 Jacques Lacan, Écrits p. 698,
Éditions du Seuil, 1968