LAB/SHUL NEW YORK : NE PAS AVOIR PEUR DES COMBATS

Une communauté itinérante, des offices dans des bars de Manhattan, des restaurants de Brooklyn ou des salles des fêtes de Harlem, servis par un rabbin emblématique, Amichai Lau-Lavie : la congrégation Lab/Shul choisit de faire vivre un judaïsme sans affiliation ni dénomination.

Lab/Shul se définit comme « une communauté expérimentale ouverte à tous, dirigée par des artistes, proposant Dieu en option pour des rencontres sacrées juives basées à New York mais s’adressant au monde entier. » Lab/Shul est l’une des premiers groupes spirituels postcommunautaires et post-dénomination. C’est quelque chose de fluide, d’organique, un projet pilote en constante évolution, un laboratoire de recherche sur la spiritualité juive contemporaine. Son fondateur, Amichai Lau-Lavie, résiste à toute étiquette.

Quand il lance Lab/Shul en 2012 à New York, Amichai Lau-Lavie a déjà une réputation d’innovateur liturgique. Cet Israélien né en 1969, issue d’une lignée d’illustres rabbins ashkénazes (son oncle, Israel Meir Lau, fut grand rabbin d’Israël, titre que porte aujourd’hui son cousin David), s’est réapproprié la Torah en tant qu’éducateur et artiste de scène.

Quand il arrive à New York, dans les années 1990, il est surpris de constater que la partie essentielle de l’office de Shabbat – la lecture de la Torah – est la moins suivie dans les communautés non-orthodoxes. Peut-être parce qu’elle est ennuyeuse, non-participative et ne parle plus aux générations d’aujourd’hui. Il fonde alors Storahtelling, utilisant des techniques théâtrales et narratives pour raconter de manière vivante les enseignements et les histoires issus de la tradition juive. Ce qui est à l’époque une troupe itinérante de conteurs juifs fait escale dans les synagogues qui l’invitent à enseigner la Torah à travers l’expression corporelle, le dialogue, la mise en scène et en impliquant le public composé d’enfants et d’adultes. Devant l’intérêt croissant pour cette approche, Storahtelling va proposer un programme de préparation à la bar– et bat-mitsva pour enfants qui ne sont pas affiliés à une communauté et qui veulent marquer leur accession à la majorité religieuse de manière vivante.

Parallèlement, Lau-Lavie poursuit une carrière d’artiste-enseignant dans les années 2000, en créant notamment le personnage de la Rebbetzin Hadassah Gross, « née dans les années 1920 en Hongrie, issue d’une lignée hassidique illustre et veuve de six rabbins importants. » Élégante et parfaitement maquillée, elle enseigne la tradition orale juive, les traditions hassidiques et la pratique kabbalistique. Une nouvelle manière inattendue et efficace pour Lau-Lavie de donner à accès à la tradition juive à ceux dont le chemin ne passe pas ou plus par les institutions communautaires.

L’année 2006 marque un tournant : le mouvement Conservative (Massorti) décide pour la première fois d’accueillir des étudiants rabbiniques homosexuels dans son prestigieux « Séminaire Théologique Juif » de New York. Pour Amichai Lau-Lavie, ouvertement gay et père de trois enfants avec un couple de lesbiennes, une nouvelle voie s’ouvre : d’une certaine manière, il va se raccrocher à la lignée familiale tout en y apportant sa propre philosophie d’artiste de scène et sa pédagogie innovante. Il y entre en 2011, à la même époque où il mijote son projet de Lab/Shul, cette communauté spirituelle sans domicile fixe et ouverte à tous, une sorte de synagogue pop-up, hébergée dans un restaurant de Soho un Shabbat, dans une école de Chelsea pour Rosh Hashana, dans un espace polyvalent à Harlem pour Pourim. L’inclusion et l’innovation sont au cœur de cette aventure. Inclusion des enfants, des adultes, de tous ceux qui se sentent juifs ou qui se cherchent ; inclusion de rituels, de techniques spirituelles et de musiques aussi variés que possible ; inclusion de la tradition juive, de l’hébreu, de l’étude des textes dans une vision moderne et expérimentale. Fini le siddour, place au PowerPoint que tout le monde peut suivre sans perdre la page. Bienvenue aux aliyot collectives pour inviter tous les fidèles sous un gigantesque tallit communautaire. Adieu les sermons rébarbatifs, place à un dialogue théâtral entre deux personnages bibliques, avec la participation active des fidèles.

Lab/Shul n’a pas peur d’essayer des choses, d’admettre des mauvais choix, d’ajuster, de laisser de côté ou de recommencer.

Pour Yom Kippour, Lab/Shul invite David Broza qui joue Kol Nidré à la guitare sèche, propose une méditation hassidique guidée par le contre-ténor Nathanael Goldberg et ose remettre en question des gestes devenus automatiques : « Plutôt que de se battre la poitrine lors de la récitation des péchés, offrez plutôt un massage à votre cœur ».

Il n’y a aucune volonté de jouer aux révolutionnaires ou aux iconoclastes, bien au contraire. Il s’agit bien de se situer dans une tradition riche et stimulante et de la rendre accessible au plus grand nombre, surtout à ceux qui s’en trouvent éloignés spirituellement ou géographiquement. Lab/Shul a été l’une des premières communautés à proposer ses offices des grandes fêtes en livestreaming puis en vidéo sur YouTube. Une belle alternative aux offices et programmes qui font toujours salle comble.

En 2016, Amichai Lau-Lavie est ordonné rabbin par le Séminaire Théologique Juif Américain, un événement auquel participe son frère, Benny Lau, rabbin d’une communauté orthodoxe moderne à Jérusalem, la première à avoir engagé une maharat, une femme rabbin. Si l’ordination rabbinique donne une légitimité supplémentaire à Lau-Lavie, elle le place aussi devant un nouveau dilemme : officier à des mariages mixtes, ce qu’il a fait avant de devenir rabbin mais qui lui est formellement interdit par l’assemblée des rabbins massortis dont il fait désormais partie. « Si j’encourage la conversion, je dois aussi reconnaître que ce chemin n’est pas idoine pour tous ceux qui aiment et épousent des juifs, et qui se considèrent comme laïcs. Si certains choisissent de se convertir et approfondissent ainsi leurs liens religieux et communautaires, d’autres trouvent des alternatives pour être bienvenus et valorisés parmi les Juifs. » Comment refuser à un couple de présider au moment de plus magique de leur vie ? Comment leur ouvrir les bras tout en partant à reculons ? Comment espérer un engagement familial dans le judaïsme si l’on ferme la porte ? Pendant un an, Amichai Lau-Lavie a fait une pause dans la célébration de mariages mixtes.

Il a pris le temps de réfléchir, d’étudier, de consulter des collègues rabbins et des universitaires.

En 2017, il a publié un long document, Joy, dans lequel il considère le conjoint non-juif d’aujourd’hui comme un guer toshav, un « résident étranger » qui vit parmi les Juifs. Cette catégorie rabbinique, inspirée du Lévitique (19, 32-33), montre que les rabbins se sont posé il y a bien longtemps la question du non-Juif vivant paisiblement parmi les Juifs. À partir de là, il ose imaginer une alternative au tout-ou-rien, à la conversion ou au rejet, ce binôme qui continue de déterminer le mariage mixte.

Il poursuit : « La formation dynamique de l’identité et la fluidité croissante des frontières ethnico-religieuses sont les facteurs déterminants de la vie contemporaines, plaçant ainsi les normes tribales et traditionnelles en porte-à-faux ». Il ajoute que l’interdiction du mariage mixte est ancrée dans l’aversion pour l’idolâtrie, elle-même menace sérieuse pour l’identité juive. Aujourd’hui, le culte des idoles n’est plus le souci premier des Juifs. La nouvelle menace réside dans la décroissance de la population juive dans le monde et l’assimilation. En cela, l’accueil d’un non-Juif comme guer toshav, sans conversion mais avec la conviction que l’on acquiert un allié plutôt que l’on perd un membre, va dans le sens de la survie du peuple juif. Il évoque aussi la notion d’hospitalité : selon le Talmud (Shabbat 127a), « L’accueil d’invités est plus important que de recevoir la présence divine ». Ces deux concepts exigent une certaine bienveillance et une flexibilité halakhique.

Pour l’instant, cette approche audacieuse a coûté à Amichai Lau-Lavie sa place au sein de l’assemblée des rabbins massortis. Mais il a préféré ouvrir le débat, Mahloket leshem shamayim (« la dispute au nom du Ciel »), tant les enjeux sont importants. Les réponses les plus diverses se sont fait entendre. Elles montrent qu’Amichai Lau-Lavie fait partie des personnalités juives américaines qui font une différence, qui osent dire et faire, qui mènent les combats plutôt que de suivre le peloton. Et pourtant, il fait souvent cavalier seul, porté par sa communauté de fans qui le soutiennent dans son expérimentation religieuse, dans ses interventions politiques et dans sa quête spirituelle.

L’an prochain, Amichai Lau-Lavie aura cinquante ans. L’occasion, sans doute, pour ce magicien de la spiritualité juive, d’inventer de nouvelles expériences pédagogiques, des rituels écologiques ou féministes, des rencontres interreligieuses où l’on ose se dire les choses et des interventions d’artistes contemporains pour révéler toute la richesse et la pertinence de la tradition juive d’aujourd’hui.