Le 8 mai dernier, l’artiste israélien Menashe Kadishman est mort, à l’âge de 82 ans.
Menashe Kadishman, toute personne qui s’est déjà rendu en Israël le connaît. Ses têtes de moutons, d’abord, que l’on croise aussi bien dans les musées prestigieux que dans les hôtels, chez des amis ou sur le marché de Yaffo. Ses sculptures aussi ornent de nombreuses places en Israël, aux États-Unis, en Europe et jusqu’au Costa Rica et au Japon et lui ont valu, en 1995, le prestigieux Prix d’Israël. Le berger devenu artiste était aussi un ami de Tenou’a qui nous a soutenus depuis quatre ans, nous permettant de présenter ses œuvres, écrivant dans nos pages ou nous présentant des artistes israéliens dont il estimait le travail.
Né en Palestine en 1932, Menashe grandit en ville avant de partir en kibboutz. C’est là qu’il devient berger, là que se forge le mythe du « berger-artiste » qui colle à l’image de cet homme imposant aux bras puissants souvent croisés sur le torse et dont la barbe signe le visage. « J’étais un artiste avant d’être un berger », écrivait- il dans Tenou’a il y a deux ans. Mais il aimait par-dessus tout « marcher avec les moutons dans les vallées d’Israël ». Formé à la sculpture en Europe, il revient au pays avec l’envie de conjuguer son histoire de sabra à son art.
Toute l’équipe de Tenou’a remercie chaleureusement Carine Cohn pour nous avoir aidés dans la réalisation de ce portfolio en dépit des circonstances, et pour avoir été, depuis des années, le lien francophone entre Menashe Kadishman et la rédaction.
En 1978, 11 ans après avoir été primé à la cinquième Biennale de Paris, Kadishman surprend celle de Venise en y exposant un troupeau de moutons vivants et peints en bleu, moutons dont il s’occupe en bon berger, pour ce qu’il qualifie d’« Art dans la nature et Nature comme art ».
Les moutons sont les figures les plus connues de l’œuvre de Kadishman, mais ne sont pas, tant s’en faut, son seul travail. Parmi ses œuvres, une grande partie s’intéresse au mythe de Prométhée, à la grossesse et l’accouchement à la guerre et ses victimes ou à la nature.
Le sacrifice d’Isaac
« Un homme qui sacrifie son fils se sacrifie lui-même. Je ne me remémore pas ma vie ni mon pays, Israël, sans guerre. Le sacrifice d’Isaac n’est pas un symbole abstrait pour moi: c’est une partie, une parcelle de ma propre histoire et de celle de ma génération (…). Lorsque se dresse la peur, à ce moment précis où l’on se tient, hésitant, le couteau à la main, incapable de décider, luttant entre la voix de sa conscience et la volonté de survivre, le vautour, déjà, dévore le foie.
La poutre de bois est toujours plus forte que le corps qui y est crucifié. Toujours. (…)
Et le plus terrifiant dans tout ça, c’est qu’à chaque génération, Isaac revient une fois encore et est sacrifié à nouveau. »
Menashe Kadishman dans Tenou’a à l’été 2012.
Shalechet, « Feuilles mortes »
Par le projet Shalechet, Kadishman veut saisir l’âme du spectateur en le rendant acteur contraint. Chaque « feuille morte » est un visage creusé dans le métal rouillé, à la fois lourd et fragile, brutal et tendre. À Berlin, au Musée juif, ce sont plus de 10000 de ces visages qui jonchent le sol d’un couloir. Par leur disposition, Kadishman vous oblige à marcher dessus. Expérience étrange, volontairement dérangeante, que de piétiner ainsi ces milliers de faces, figurant l’innombrable procession des victimes de la Shoah. Kadishman insistait sur le fait que cette œuvre ne devait pas être considérée seulement comme un mémorial de la Shoah mais plutôt comme un rappel pour toutes les victimes des guerres du passé, du présent et du futur.