Le chant des synagogues

TRIBUNE DE MOÏSE COHEN,
PRÉSIDENT D’HONNEUR DU CONSISTOIRE DE PARIS

Comment lutter contre la désaffection des synagogues ?

Quand on entre dans une synagogue, on devrait être frappé, non par la beauté esthétique qu’elle offre à notre regard, mais par le potentiel qu’elle libère, la chaleur humaine qu’elle dégage. Comment donc en faire un lieu ouvert où tout un chacun ait envie d’entrer, de pousser la porte, non pas une porte-obstacle, mais un appel d’air. Une invitation à la prière, une pause spirituelle qui soit un coup d’arrêt à notre vie trépidante, pour faire une place à un ressourcement de son être.

Ceci étant, force est de constater que beaucoup de lieux de culte se vident, d’année en année, souvent pour des causes objectives : déplacements de petites localités provinciales vers de grandes villes où on est assuré d’avoir un « minyan », migration de certaines agglomérations de Paris et de l’Île de France, devenues infréquentables vers des arrondissements plus accueillants, recherche d’oratoires de proximité et de taille plus humaine que les synagogues gigantesques d’une autre époque (La Victoire, Les Tournelles, Buffault à Paris ou le Quai Tilsitt à Lyon). Toutefois, si désertification il y a, en certains endroits, on remarque, à l’inverse, que certains lieux de culte font le plein.

Comment expliquer que les synagogues d’obédience Loubavitch soient pleines à craquer et que les libérales ou massorti soient bondées? Les premières sont réputées pour leur accueil chaleureux et l’attention portée aux fidèles. Quant aux autres, qui se réclament d’un judaïsme dit « de progrès », leur ouverture, sans la moindre discrimination, et leur transmission plus intellectuelle, attirent chaque jour un nombre accru de fidèles. À travers ces deux exemples, que pourtant tout oppose, on pressent déjà les raisons qui font leur succès respectif : un abord bienveillant et un discours enrichissant.

Comment obtenir un retour périodique vers toutes les synagogues ? À mon sens, la réussite tient dans la mise en œuvre des trois facteurs suivants.
• En premier, la prière doit constituer un moment d’élévation spirituelle. Puisque la musique est le langage de l’âme, les ministres officiants y ont un rôle essentiel. Si le hazan, le chantre, a une voix mélodieuse, on ne voit pas passer les heures, tant le chant est prenant et l’émotion palpable, suscitant la participation de tous. Jadis, il était impossible d’entrer dans la synagogue Ohab Tzedek de New York, bourrée à craquer lorsque le cantor Yosselé Rosenblatt faisait la prière. Aujourd’hui encore, Naftali Hershik et Meir Helfgot attirent des foules. À Jérusalem, on se presse à Hekhal Shlomo pour écouter des chantres réputés et il en est de même à Londres, Paris ou Strasbourg. Le chant émeut tout le monde, qu’on soit séfarade ou ashkénaze, parce qu’il est d’origine divine, un don du Ciel qui fait ressentir le souffle de Dieu.
• Le discours du rabbin doit constituer un temps fort de l’office shabbatique. Ni trop court, ni trop long ; le dosage doit être savant pour intéresser et captiver le plus grand nombre. Nous avons la chance de bénéficier d’une Torah dont chaque section s’adapte miraculeusement à l’actualité de la semaine. Au Rabbin de savoir en tirer le meilleur parti en communiquant un message clair et compréhensible, en restant le plus proche possible de ceux qui écoutent. En quelque sorte, une communication de marketing spirituel pour transmettre l’amour de la Torah et pousser à son étude.
• Enfin, ne perdons jamais de vue que la très grande majorité des fidèles a une connaissance très réduite de l’hébreu et qu’elle a du mal à suivre le déroulement de la prière, sauf si elle dispose de livres bilingues. Et même dans ce cas-là, pourquoi ne pas s’inspirer des rabbins qui s’arrêtent de temps à autre, pour expliquer en français, le sens d’un psaume ou la signification d’un passage de la lecture de la Torah, favorisant ainsi une meilleure compréhension du texte ?