Préambule de François MOREL,
Préface d’Alain KLEINMANN
www.philippeenquin.net
2020, 29 €
Lorsque Philippe Enquin nous a présenté son projet, avouons-le, nous ne savions pas à quoi nous attendre. Il se présentait comme un Parisien, né en Argentine, âgé de 85 ans et qui avait passé une partie de son confinement à photographier ce Paris étrange depuis son balcon haussmannien. Sur une centaine de pages se déroule ainsi un monde autre et calme, un monde masqué où l’on peut lire le journal en traversant la rue, où les amis se parlent à quatre étages de distance, où les voisins se découvrent en applaudissant le soir à 20 heures. On n’y ressent que plus la présence des SDF et autres « premières lignes ». Ces photos de confinement sont radicalement touchantes, humaines, et joyeuses aussi souvent. Alors, maintenant que le confinement est passé, puis qu’il est revenu, qu’on ne sait toujours pas, qu’on comprend encore moins, oui, cela nous fait du bien de nous dire en regardant ce livre, gam zou letovah, cela aussi est pour le bien.
« J’ai ressenti dans cette période une atmosphère de gravité et de fraternité très singulière, écrit l’auteur. J’ai dû prendre en tout plus de 3000 photos. Les 140 retenues illustrent, grâce à la complicité souvent volontaire de mes modèles, les étincelles d’humanité que j’essaye de saisir. »
Sans angélisme, il note toutefois avoir « conscience que De mon balcon est un regard de privilégié. De quelqu’un qui habite un appartement confortable avec un grand balcon, dans un « beau » quartier, qui ne va pas perdre ses revenus, qui ne doit pas risquer quotidiennement sa santé. Ceux qui habitent dans un petit appartement avec toute leur famille, qui travaillent en première et deuxième lignes, qui ont perdu leur job, ne peuvent pas avoir le même regard. Je suis conscient que c’est parce que j’ai une situation privilégiée que j’ai pu avoir une vision plutôt tendre du confinement. »
Ces clichés, écrit l’artiste Alain Kleinmann dans sa préface, « nous montrent que la vie a su continuer à se frayer un chemin à travers le brouillard et la chape de plomb, comme ces petites touffes d’herbe ou ces fleurs qui arrivent à fendre l’asphalte des rues pour exister et s’épanouir malgré tout. Et c’est bien ce « malgré tout » qui rend si émouvants ces personnages du confinement, leurs sourires, leurs regards, leurs gestes, leurs saluts, leurs baisers, leurs applaudissements. Les faits les plus quotidiens redeviennent une source d’émerveillement : la lecture, la balade, l’attente, le sport, la promenade du chien, les services municipaux, le simple vol d’un oiseau… »
Comme nous le décrivions dans le numéro 180 consacré au confinement, ce n’est pas tant notre regard qui a changé que ce sur quoi il peut se poser. Le regard de Philippe Enquin a voulu voir du bonheur, de la solidarité et, parfois, depuis là-haut, il a pu se poser sur cette spiritualité nouvelle dont il parle et qui s’enchevêtrait à ses participations aux études des synagogues virtuelles d’alors.
« Ses photos ne sont pas dans l’air du temps, écrit le comédien François Morel en préambule, elles sont dans le souffle de l’instant, quand la vie ne se résigne pas à baisser les bras, quand l’humour devient un acte de courage, quand les conversations du Café du Commerce n’ont même plus le charme des comptoirs devenus interdits, quand le regard bienveillant devient la plus belle arme pour résister à la morosité, au défaitisme, à l’accablement propagé par tous les robinets anxiogènes des chaînes d’information. »