L’équipe de Tenou’a m’a demandé d’expliquer brièvement en quoi le souci de l’environnement est une question juive ; et je suis heureux de le faire. Laissez-moi d’abord affirmer que c’est une question juive parce que c’est une question humaine. Nous, juifs, sommes tous des êtres humains et des habitants de la planète Terre. Ce n’est pas un fait trivial: nous sommes parfois si préoccupés par « nos » problèmes que nous en devenons myopes et ne parvenons plus à voir le vaste monde auquel nous appartenons. La préservation de cette planète devrait être une préoccupation vitale pour chacun de nous, en tant que nous sommes des créatures terriennes, que nous appartenons au monde créé par Dieu, et donc aussi en tant que juifs. Aucun de ces aspects n’est dissociable des autres.
La responsabilité de notre monde et de sa survie fait fondamentalement partie de la genèse de notre cosmogonie religieuse. Nos ancêtres percevaient les sacrifices quotidiens comme assurant la durabilité de l’univers. S’ils ne les pratiquaient pas, ils croyaient que Dieu ramènerait le monde au chaos initial. Les rabbins ont transféré cette croyance des sacrifices du Temple vers une vie de Torah et de commandements. Le Midrash dit : « Dieu posa une condition à la création du ciel et de la terre: si israël accepte ma Torah, tout se passera bien. Sinon, je vous renverrai au chaos d’où vous êtes venus ».
Comment interpréter ces enseignements dans un contexte contemporain ? ils ne peuvent être lus littéralement comme s’ils prétendaient simplement que la seule observance de la vie juive suffit à porter le monde. Une vision si étroite et exclusive du judaïsme ne fonctionne plus actuellement. Nous ne croyons plus que le monde ne se maintient que par nos prières et notre étude de la Torah. Nous devons en comprendre que la Torah, telle que nous l’entendons, doit servir d’enseignement pour la préservation du monde. Vivre une vie de Torah, suivre les voies de Dieu, c’est vivre de façon à participer à la préservation du monde créé par Dieu.
Notre Torah débute par la création du monde par Dieu. Là réside la base de notre foi, comme les philosophes et les kabbalistes l’ont bien compris. Cela demeure le fondement du judaïsme aujourd’hui, comme de toutes les religions, car il naît de la gratitude envers la vie. Nous sommes reconnaissants envers un Dieu qui, selon les mots de nos livres de prières, « renouvelle chaque jour l’œuvre de la Création ». Cette foi en la Création n’a pour autant nul besoin d’être comprise littéralement. On peut aussi bien croire que notre planète a 5775 ans ou 18 milliards d’années. On peut concevoir Dieu comme un créateur transcendant existant avant et au-delà de l’univers, ou bien comme une force présente en chaque chose elle-même. On peut croire aux événements surnaturels, ou bien considérer la nature elle-même comme le plus grand des miracles. Mais la clé, c’est que l’existence, la nôtre comprise, comporte une vérité sacrée et mystérieuse qui est touchée par une présence divine. Notre rôle, en tant qu’êtres humains, est de découvrir cette présence et d’entendre sa voix subtile s’adresser à nous. C’est là l’essence de la connaissance religieuse.
De nos jours, cette voix nous hurle d’affronter les défis de la survivance même de la terre en tant qu’habitat des plus hautes formes de vie. La tâche la plus urgente des religions au xxie siècle sera de nous aider, nous, humains, à modifier notre relation avec l’environnement naturel auquel nous appartenons. Sans un tel changement, sans un glissement essentiel de la position de consommateur avide de ressources à celle d’intendant responsable, nous ne survivrons tout simplement pas. Ce changement n’adviendra pas seulement par des décrets gouvernementaux ou des traités internationaux. il lui faudra aussi venir d’en bas, émerger d’un choc tectonique dans les profondeurs de la façon dont nous, humains, nous considérons et considérons notre vie sur cette terre. C’est là le vrai sujet des religions, et toutes les grandes religions de ce monde vont devoir s’atteler à cette tâche. Certains leaders religieux, parmi lesquels le Pape et le Dalaï-Lama, ont déjà manifestement pris ce chemin. Et il est temps que notre voix juive se fasse davantage entendre à son tour.
Il existe encore une autre raison pour laquelle nous devrions concevoir l’avenir de notre relation à la planète comme une préoccupation juive. Le récit traditionnel de la Création, celui des sept jours, fut l’une des contributions juives majeures à la civilisation. Nous honorons cette histoire avec notre Shabbat, levant notre verre chaque semaine à l’achèvement de la création du monde et affirmant toujours et encore que nous vivons dans un monde créé. Mais ce récit n’est pas que le nôtre; il est connu aussi à travers le monde entier. il a enseigné au monde quelques-unes de nos plus belles valeurs, notamment ’amour de Dieu pour chaque créature, la dignité de chaque être humain en tant qu’image de Dieu, et l’importance à la fois du repos et de la sainteté. Nous croyons toujours à ces valeurs et voulons les voir reflétées dans le récit actuel des origines humaines, le conte de l’évolution. Ce récit-là aussi a besoin de devenir sacré, une histoire qui reflète notre sens de l’émerveillement devant la présence divine dont nous savons encore qu’elle habite ce monde. il est important que nous prenions activement notre part dans la conversation actuelle sur notre planète et son avenir de sorte que notre grande vérité soit perçue comme essentielle dans le nouveau portrait de la vie humaine sur terre, celle qui émergera inévitablement de cette période de grande transition dans l’histoire humaine.
Afin de participer à cet effort universel, nous, juifs, devons nous réimpliquer dans une foi en la Création de Dieu, définie de la façon la plus large possible. Nous devrions l’exprimer en investissant davantage le Shabbat en tant que célébration hebdomadaire de cette création. Nous devrions accueillir le Shabbat comme un temps d’élévation de notre connaissance de la présence de Dieu à travers tout le monde créé, ce qui signifie que chaque élément de la nature et chaque ressource devraient être traités avec soin et révérence. Mais ce Shabbat renouvelé devrait nous impliquer dans la préservation de la Création durant la semaine également, embrassant des positions de leaders dans les nombreux efforts pour préserver notre monde, notamment la conservation et la protection de l’environnement tant dans le domaine public que dans le domaine privé.
Pour aller plus loin dans l’élévation de cette connaissance, au Hebrew College Rabbinical School de Boston, un séminaire rabbinique non affilié, nous invitons les juifs où qu’ils soient à renouer avec une vieille coutume, celle de réciter, chaque jour, le ma’amad, ou jour de la Création. Le dimanche, nous achevons nos prières en récitant « Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre »; le lundi « Qu’un espace s’étende au milieu des eaux, et forme une barrière entre les unes et les autres »; et ainsi de suite toute la semaine. Cette pratique était observée, à l’origine, par ceux des israélites dont les voisins prêtres se rendaient au Temple pour leur service hebdomadaire. Tandis que les prêtres offraient les sacrifices pour maintenir le monde, les gens de leur ville invoquaient les jours de la Création. Cette coutume devint ensuite très répandue avant de tomber finalement en désuétude. Notre appel à la ressusciter est un appel à transformer notre conscience, à modifier la hiérarchie de nos priorités religieuses. Nous avons choisi cette façon très juive d’affirmer que la protection de l’environnement est de facto une question juive, une question qui touche au cœur même de notre foi universelle. Nous incitons également les juifs qui ne prient pas quotidiennement à réciter ces versets ainsi que le Shema pour commencer à renouer avec une pratique spirituelle quotidienne. Bien sûr, ce rituel, comme toute pratique de ce type, n’est pas une fin en soi, mais un rappel que notre existence même en tant que « dynastie de prêtre et nation sainte » (Exode 19:6), est un témoignage de notre foi dans ce que nous vivons dans un monde créé et que nous devons le traiter comme la demeure appropriée de la présence divine.
Traduit de l’anglais par Arthur Strobel-Dahan