Alors que le monde « d’après » ou le monde « d’avec » le Covid-19 démarre à peine, j’ai envie d’imaginer Arthur Miller, le célèbre dramaturge américain, heureux. Pourquoi donc ? Simplement, parce que dans cette période si particulière que nous venons de traverser, le souhait qu’il formulait à propos de la presse et du journalisme, en 1961, dans un entretien accordé au London Observer, s’est exaucé. Ce jour-là, Arthur Miller déclarait: « Un bon journal, c’est une nation qui se parle à elle-même ».
De prime abord, convenons-en, le rapport avec la façon dont les médias ont travaillé durant cette crise peut paraître lointain. Et pourtant, il existe, et c’est en regardant en profondeur la façon dont l’information s’est fabriquée durant cette période qu’on en prendra toute la mesure et que l’on saisira une réalité que l’on ne croyait pas toujours possible: oui, les médias ont globalement très bien travaillé durant cet épisode.
Pour l’une des premières fois dans l’histoire de la presse et du journalisme, un seul fait a littéralement recouvert tous les autres. En mars, plus de 80 % du temps d’antenne a été consacré au Covid-19. Un véritable blast a déferlé sur les médias, comme sur l’ensemble de la France et du monde. Alors que l’on aurait pu s’attendre à une course à l’échalote et à la mise en musique de l’adage sur ces médias qui cherchent à « étonner » plutôt qu’à « informer », l’inverse s’est produit. Comme si l’ampleur du choc avait conduit l’ensemble de la profession à une nouvelle façon d’appréhender le métier d’informer.
Ainsi, la concentration de toutes les forces vives du journalisme sur un seul et même sujet a conduit l’ensemble des rédactions, non pas à s’affronter dans une course effrénée au scoop, mais à tenter d’être le plus pédagogique, le plus précis et le plus intéressant possible. De facto, les médias – notamment écrits – ont réussi à faire de ce moment particulier, une ode au journalisme bien fait. « Nous étions tellement conscients du fait que se planter dans la diffusion de l’information pouvait créer de la panique ou des incompréhensions que nous avons redoublé encore de vigilance quant à la façon de vérifier ce que nous nous apprêtions à raconter », confie le rédacteur en chef d’un grand quotidien.
Comme si, au fond, la profession avait créé des gestes barrières nouveaux contre les âneries et les emballements. Comme si, au fond, alors que la plupart des journalistes étaient confinés chez eux pour raconter une information en continu dans les live en ligne des quotidiens, ils avaient tous décidé que même s’il convenait d’aller vite et de répondre aux interrogations des internautes, il fallait aussi et surtout prendre le temps de contextualiser et de revérifier encore et encore les informations. Aussi, dans les live du Figaro, du Monde ou de Libération, souvent on pouvait lire: « Nous n’avons pas encore d’informations sur cette question, nous travaillons sur le sujet ». Il n’était pas rare, non plus, de lire des articles de fond et des enquêtes précises sur la gestion des masques, les bienfaits/ méfaits supposés de la chloroquine, ou le démontage argumenté de toutes les intox qui circulaient dans nos boucles Whatsapp. Loin du décompte sensationnaliste du nombre de morts de certaines chaînes d’information.
Cet épisode du Covid-19 aura été aussi un moment de réapprentissage d’une relation des médias à leurs audiences. Exit ainsi, le sensationnalisme et le « beau » des images léchées, bonjour à l’authenticité des directs Skype dans lesquels il n’était pas rare de voir débarquer un enfant. Ce moment aura été celui du vrai et de l’authentique dans sa façon de mettre tout un chacun: politique, journaliste, et citoyen sur un pied d’égalité.
Réapprentissage de la relation aux audiences aussi dans la façon que les médias ont eue de nous écrire des lettres. En effet, de France Culture au Monde en passant par le Washington Post, ils ont tous créé ou augmenté leur service de « lettres » d’information ou de newsletters. Et les lecteurs et lectrices s’y sont inscrits en masse. Dans ces mails qui venaient rythmer nos quotidiens, il y avait une nouvelle façon de parler au lecteur, de rentrer en dialogue avec lui, de lui donner des informations, mais aussi de l’inviter à l’échange et à la pensée différente. Comme si, nos médias s’étaient mis à nous écrire de longues lettres d’amour. Une nation qui se parle à elle-même. Le souhait d’Arthur Miller est exaucé. Le grand journalisme de dialogue entre celui qui fait l’information et celui qui la reçoit est aussi l’un des heureux évènements de ce monde d’après. Gageons que journalistes et audiences sauront poursuivre ce dialogue dont Jacques Lacan disait qu’il était une « renonciation à l’agressivité ». Cela permettra – peut-être – aux médias de reconquérir une confiance perdue. Voilà le souhait « millerien » que je forme pour le « monde d’après ».