Katy Hazan et Dominique Rotermund
Service Archives et Histoire de l’OSE
La collection “Témoignages de la Shoah”, dirigée par la Fondation pour la Mémoire de la Shoah et publiée par les éditions Le Manuscrit réunit les récits des victimes et témoins des persécutions perpétrées en Europe contre les Juifs, avant et pendant la Seconde Guerre mondiale. Dans le cadre d’une sous-collection spécifique, on trouve les témoignages des acteurs du sauvetage au sein de l’Œuvre de Secours aux Enfants (OSE), association médico-sociale d’origine russe, implantée en France en 1934 et intégrée à la résistance juive.
L’OSE dispose en effet de plusieurs témoignages directs, rédigés dans l’immédiat après-guerre, ou plus tard, par ses dirigeants, médecins, convoyeuses ou assistantes sociales. Leur publication met en lumière les différents enjeux et facettes de la résistance juive, telle qu’elle s’est organisée au sein de l’OSE et plus particulièrement au sein de son réseau clandestin de sauvetage des enfant juifs, dit “réseau Garel”, du nom de son fondateur et dirigeant, Georges Garfinkel.
Parmi ces huit témoignages, on trouve tout d’abord ceux des deux principales «têtes pensantes» du réseau clandestin, Georges Garel1 et Andrée Salomon2, mais également les mémoires de Georges Loinger3, organisateur de la filière de l’OSE de passages d’enfants en Suisse. Ces trois témoignages donnent une vue d’ensemble du dispositif de sauvetage et permettent de comprendre l’articulation entre la face légale et la face clandestine qui a été la clé de sa réussite. Il est l’illustration de l’imbrication efficace de l’appareil légal d’une organisation rompue à l’assistance et au sauvetage, et d’une équipe soudée, aux exigences nouvelles. Le texte de Garel, déjà publié en 1946, a été enrichi par une étude régionale précise montrant l’implication de l’OSE sur le terrain.
Le témoignage d’Andrée Salomon, responsable de l’action sociale, aborde d’autres aspects du sauvetage, la sortie des camps d’internement de zone sud qui prend des formes multiples, et les départs vers les États-Unis, entreprise ô combien délicate. Et l’on prend conscience en lisant son témoignage que chaque enfant sauvé nécessite toute une chaîne de solidarités chaque fois remise en question.
Les mémoires de Georges Loinger sont le fruit d’entretiens oraux, mis en forme par Katy Hazan. Ses souvenirs sont ceux d’un militant infatigable, sportif depuis sa tendre enfance strasbourgeoise, prisonnier de guerre évadé, résistant juif, sioniste convaincu, passeur d’enfants et de mémoire. Mort à 108 ans, il consacra toute son énergie à rendre à la résistance juive sa place dans l’Histoire.
Trois autres témoignages, celui de Jacques Salon4, du Docteur Gaston Lévy5 et de Jenny Masour-Ratner6 permettent d’entrer dans les détails de cette épopée, avec des récits de micro histoire dans le temps et dans l’espace. Le journal de Jacques Salon est écrit sur le vif : “16 juillet 1944. Ne crois pas, ma chérie, que c’est par vanité que je raconte ces événements. Je ne sais pas où tu es […]. Alors, je n’ai d’autre moyen de te tenir compagnie et de t’évoquer que de te parler de moi. Quand t’entendrai-je enfin ?” Lorsqu’il écrit ces lignes à sa femme, Jacques Salon (1914-1989) ne sait pas qu’elle ne rentrera pas de déportation. Nicole est assistante sociale à l’OSE quand il la rencontre en 1940. Pendant plus de deux ans, ils vont résister ensemble et sauver plus de 200 enfants juifs à partir de Megève. Le 24 octobre 1943, trois mois seulement après leur mariage, Nicole est arrêtée puis déportée à Auschwitz. Jacques poursuit la lutte et s’occupe de l’organisation des convois vers la Suisse, en amont de Georges Loinger. Arrêté à son tour, torturé par la Milice à Lyon, il parvient à sauter du train qui l’emmène vers Drancy, avec Julien Samuel. Blessé, il est soigné dans la clandestinité.
Les mémoires du Dr Gaston Lévy nous rappellent que l’OSE est tout d’abord une œuvre médico-sociale, créée par des médecins. Chacune de ses 14 maisons ouvertes pendant la guerre avait un médecin attitré, le Dr Gaston Lévy supervisait l’ensemble. Directeur de la pouponnière de Limoges, il mit sur pied un réseau de caches d’enfants dans le département de l’Indre, préfigurant, à une plus petite échelle, le circuit Garel. Son travail en Suisse nous donne à voir sur le fonctionnement des camps d’accueil pour réfugiés. Il est le beau-père d’André Chouraqui et termina ses jours à Jérusalem.
Le témoignage de Jenny Masour date des années 1980 et nous permet de faire connaissance avec le personnel d’origine russe, fondateur de l’association. Jenny Masour, elle-même originaire d’Odessa, n’a rencontré l’OSE qu’en 1940 à Montpellier. Il s’agit d’un témoignage vivant, vécu de l’intérieur, qui nous renseigne et nous enseigne. Au fil de sa plume se dessinent la politique de l’association, son implication dans le sauvetage des enfants juifs, mais également ses hésitations, le jeu de cache-cache dramatique de la traque des Juifs. Son récit fourmille d’anecdotes sur le personnel connu et moins connu et permet de comprendre l’héroïsme au quotidien. Elle aborde également l’après-guerre et son travail à la direction du service du regroupement familial, attestant du fait que le sauvetage des enfants juifs ne se termine pas en 1945.
Les deux derniers témoignages ne concernent pas les acteurs directs du sauvetage, mais des protagonistes de la période. Jacques Samuel7 est le frère de Julien Samuel, l’un des dirigeants de l’OSE pendant et après la guerre. Son journal nous éclaire sur la vie d’une famille juive alsacienne pendant l’Occupation, la diversité des parcours et des engagements. Lui-même n’est ni spécialement scout, ni sioniste, mais décide à vingt-ans de rejoindre Taluyers, la ferme école des Eclaireurs israélites et de partir en Palestine. Le trajet vers l’Espagne par les Pyrénées est une épopée racontée par le menu et l’arrivée par le Guinéa, la promesse d’une vie nouvelle.
L’histoire des enfants de Buchenwald8 illustre la reconstruction et le travail de l’OSE après la guerre. Il s’agit d’un recueil de témoignages oraux, filmés et mis en forme par Katy Hazan et Éric Ghozlan. En 1945, à la libération du camp de Buchenwald, plus d’un millier de jeunes Juifs âgés de 8 à 24 ans attendent que l’on statue sur leur sort. 426 garçons, originaires des pays d’Europe centrale et orientale arrivent en France, pris en charge par l’Œuvre de Secours aux Enfants. Ce livre regroupe le témoignage de 15 anciens de Buchenwald, pour certains déportés à l’âge de 4 ans. Ils ont accepté de partager leurs souvenirs, eux qui, enfants, connurent le ghetto, les camps de travail forcé et pour certains les “marches de la mort” depuis Auschwitz-Birkenau.
À la fin de l’année, doit paraître les mémoires du docteur Gaston Revel, l’un des trois médecins de l’OSE auteurs d’un rapport sur la situation des Juifs en Allemagne dans les camps de personnes déplacées (DP), douloureuse question humanitaire méconnue. Avec Fanny Loinger, assistante sociale de l’OSE, il fut également chargé d’une mission de prospection au camp de Buchenwald pour acheminer les garçons vers la France.
Comme on peut le constater, ces livres sont des parcours croisés qui se répondent les uns aux autres et forment une toile de fond pour enrichir l’histoire singulière d’une œuvre juive qui sut se mettre “au secours des enfants du siècle9“.
1. Georges Garel, Le sauvetage des enfants juifs par l’OSE, 2012
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2. Katy Hazan et Georges Weill, Andrée Salomon, une femme de lumière, 2011
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3. Georges Loinger, Katy Hazan, Aux frontières de l’espoir, 2006
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4. Jacques Salon, Trois mois dura notre bonheur – Mémoires 1942-1943, 2005
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5. Dr Gaston Lévy, Souvenirs d’un médecin d’enfants à l’OSE en France occupée et en Suisse, 1940-1945, 2008
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6. Jenny Masour-Ratner, Mes vingt ans à l’OSE 1941-1961, 2006
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7. Jacques Samuel, Journal 1939-1945, une famille juive alsacienne durant la Seconde Guerre mondiale, 2014
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8. Katy Hazan, Éric Ghozlan, À la vie ! Les enfants de Buchenwald, du shtetl à l’OSE, 2005
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9. Sous la direction de Martine Lemalet, Au secours des enfants du siècle, regards croisés sur l’OSE, Paris, Nil édition, 1993