Rabbin Delphine Horvilleur
Directrice de la rédaction de Tenou’a
C’est peut-être le mot le plus célèbre de la Bible, le tout premier mot qui inaugure en hébreu la genèse du monde. Bereshit. Ces six lettres en hébreu, personne ne sait vraiment les traduire. « Au commencement ? Au début ? En principe ?… » Et ce mot est porteur de mille sens et d’infinies traductions. C’est comme si chaque lecteur était un relecteur et donc un interprète, c’est-à-dire un créateur de sens.
Mais à chaque époque et chaque relecture, les commentateurs butent sur un détail surprenant : la Bible ne commence pas par un Alef א, la première lettre de l’alphabet, mais par un Beth ב, la deuxième. Le début de l’histoire est toujours un après-coup et non un démarrage. La genèse du monde est un recommencement et non une origine. L’histoire ne peut commencer que pour celui qui sait que quelque chose existait avant et qu’il va falloir faire avec. Nous sommes les enfants d’un monde qui a existé et qu’il nous est donné de transformer pour écrire une nouvelle genèse, un recommencement où tout est possible quand on sait qu’on ne fait pas du passé « table rase » mais que l’avenir re-lit et relie le temps qu’on a traversé.
Antoine Strobel-Dahan
Rédacteur-en-chef de Tenou’a
Avec le printemps, cette année, s’est installé un temps nouveau et bien étrange. Venu de loin, un virus amenait le monde à se mettre en pause, tous les mondes, le nôtre et ceux qui nous entourent. Jour après jour, ce qui eut été impossible à peine plus tôt devenait la norme nouvelle : plus de travail au travail, plus d’école à l’école, plus de sorties, plus de visites aux vieux (notion devenue étonnamment large), plus d’embrassades ni même de balade sans une autorisation aussi interrogatoire que dérogatoire. Pour la première fois, nous allions, les uns et les autres, passer Pessah chacun chez soi, sans nous réunir, et sortirions d’Égypte sans pouvoir franchir le seuil de notre maison. Seuls encore, nous rappellerions les noms des déportés lors d’un Yom HaShoah virtuel et lointain. Pour la première fois, les portes des synagogues se verrouilleraient tandis que celles des hôpitaux n’en pourraient plus de battre. Et il nous faudrait composer avec un monde nouveau, un monde transitoire, un monde de contagion et d’évitement qui devrait bien déboucher sur quelque chose.
À Tenou’a, nous avons voulu donner la parole aux auteurs et aux artistes qui font cette revue, leur ouvrir nos pages puisque nous ne pouvions plus leur ouvrir nos bras. Nous leur avons demandé de nous raconter cet étrange printemps, ce temps entre deux qui en annonce un autre dont nous ignorons encore de quoi il sera fait. Au recommencement du monde, au commencement du monde autre, nous vous proposons, en ligne avec nos amis de l’AJC, et dans un numéro spécial de Tenou’a, de lire une chronique de ce temps de passage, les sentiments d’auteurs, de rabbins, d’artistes, d’universitaires, quelque part entre les mondes des détresses et ceux des promesses.
Simone Rodan-Benzaquen, Directrice de l’AJC Europe
Anne-Sophie Sebban-Bécache, Directrice de l’AJC Paris
De l’Asie, l’Europe, aux Amériques et à l’Afrique, la crise du Coronavirus allait toucher tous les continents. De l’annonce de nouveaux cas ici en annonces de nouveaux cas là-bas, nous avons vu les chefs d’États les uns après les autres se saisir, s’inquiéter, gérer au mieux ce qui allait devenir un événement sans précédent dans l’histoire du XXIe siècle. Habitués à combattre les maux dont sont victimes les minorités à travers le monde – racisme, antisémitisme, xénophobie – nous assistions là un mal s’attaquant à n’importe qui, n’importe quand, sans distinction d’origine ou de religion. Défenseurs d’une coopération renforcée entre les démocraties libérales, nous avons observé les puissances rivaliser, des régimes autoritaires s’affirmer et tous courir après un traitement le plus efficace possible. Si les exemples de solidarité internationale et individuelle portaient notre espoir, ceux contre lesquels nous luttions hier n’avaient pas tardé à sortir du bois. Les sociétés déconfinées seraient-elles irrespirables ? Était-ce le début ou la fin, d’un « ancien-nouveau » monde (pour emprunter l’expression éponyme de l’ouvrage fondateur de Théodore Herzl) ?
Nous voulions déjà « tirer les leçons » d’une crise dont ni l’évolution ni la durée ne pouvaient être écrites d’avance. Nous voulions prévenir les crises auxquelles, inévitablement, celle-ci semblait conduire : crise politique, sociale, économique, géopolitique. Tenus à distance du cours habituel du temps, nous pouvions au moins saisir ce moment, avec les amis de Tenou’a, pour tout imaginer.
Car s’il fallait tout (re)commencer, c’est sans doute de l’alliance entre ce que l’engagement et la pensée (juive) font de meilleur qu’il faudrait s’inspirer…