L’homosexualité nie-t-elle l’altérité ? Le débat des psys avec Serge Hefez

JEAN-PIERRE WINTER
PSYCHOLOGUE ET PSYCHANALYSTE

L’altérité est la reconnaissance subjective du fait que l’autre n’est pas moi. Plus je me projette en lui – c’est une des formes de l’identification imaginaire – moins l’autre existe, comme dans l’expression populaire « Je me mets à ta place ». S’agissant de certains homosexuels il arrive que la question se pose de savoir si leurs identifications ont été si totales qu’aucun autre, hors imaginaire, qu’eux-mêmes n’existe. Mais il y a tant d’homosexualités différentes… Ainsi n’est-ce pas Arthur Rimbaud qui donnera la plus illuminante définition de l’altérité quand il dira « Je est un Autre » ?

Rien ne permet de penser a priori qu’un homosexuel aura plus de difficultés qu’un hétérosexuel à reconnaître en lui la part de l’Autre, cet inconscient qui le rend étranger à lui-même, à sa conduite, à sa parole… Le doute ne naît que du regard porté sur son désir ou son amour de ce qui apparaît, de l’extérieur, comme un désir du semblable au détriment supposé du différent. Ce qui implique un mode de jouissance de l’autre, énigmatique pour ceux qui jouissent autrement. L’altérité suppose de se départir du fantasme d’un autre qui ne vous répondrait pas du lieu de son incomplétude, ce qui n’est possible qu’à la condition de ne pas faire de la particularité de sa jouissance une identité.

SERGE HEFEZ
PSYCHIATRE ET PSYCHANALYSTE

Je ne perçois pas du tout l’homosexualité comme une volonté de nier l’altérité mais, pour comprendre pourquoi d’autres la considèrent ainsi, il faut comprendre comment la psychiatrie puis la psychanalyse se sont emparées de la question de l’homosexualité. La question de l’homosexualité est au cœur même de la création de la psychiatrie médico-légale de la fin du XIXe siècle qui était là pour définir la norme, notamment en matière de sexualité. Tout ce qui échappait à la sexualité hétérosexuelle la plus classique, était apparenté à de la perversion, à commencer par l’homosexualité. Ceci constitue un héritage très lourd dans le champ psychiatrique. Freud était plutôt ouvert sur la question de l’homosexualité en affirmant notamment que, dans sa conception de la vie psychique, ce qui conduit à l’hétérosexualité est aussi mystérieux que ce qui conduit à l’homosexualité. Mais il se montrait ambigu dans le fait de continuer à apparenter l’homosexualité au concept de perversion qui, sur le plan psychanalytique, se fonde sur le déni de l’altérite, sur le refus de reconnaître l’Autre en tant qu’autre. La psychanalyse actuelle a hérité de cela, ce qui explique que les psychanalystes soient très divisés sur le sujet de l’homosexualité.

Personnellement, je considère que les homosexuels vivent dans la même altérité que les hétérosexuels et que ce n’est pas la différence des sexes qui fonde l’altérité. L’Autre est autre qu’il soit du même sexe ou non. Le psychisme d’un enfant (futur adulte) qui se sent attiré par les personnes du même sexe est le même que celui d’un enfant qui se sent attiré par les personnes de l’autre sexe. Il est agi par un cheminement psychique, par des jeux d’identifications de même nature. Il y a des hétérosexuels et des homosexuels de la même façon qu’il y a des gauchers et des droitiers. On ne considère plus aujourd’hui le gaucher comme « anormal » ou à rééduquer. Je ferais cette analogie avec l’homosexualité et l’hétérosexualité : il y a toujours eu, dans toutes les sociétés, environ 10 % de personnes homosexuelles ; l’homosexualité n’est jamais qu’une variante de la norme.