L’humour d’une époque

L’évolution de l’humour, et de l’humour juif tout particulièrement, est fonction des vicissitudes du peuple juif à travers son histoire, ses histoires, ses pérégrinations, ses exils, ses tragédies.
Le miroir que constituent ces histoires n’est pas un état des lieux de ce qui est mais la manière la plus simple de formuler un questionnement autour de certaines problématiques, celles justement qui sont présentes, pas toujours de façon explicite, dans les différentes blagues ou histoires de cet humour juif.
C’est le cas par exemple des blagues sur les mères juives, les belles-mères, les filles et les gendres, les fils et les pères et sur les couples mixtes même si sur cette question il n’y a pas encore un nombre important d’histoires. Ce qui est aussi à questionner!

Ces histoires juives sont une façon de dire « bon allons-y, prenons notre courage à deux mains et posons les questions de ces liens compliqués que l’on appelle une famille, l’amour, les relations entre générations, etc. »

L’humour joue souvent un rôle de révélateur en des moments historiques particuliers, quand une partie ou toute une société se trouve, quant à une question, dans une impasse ou devant une difficulté. Impasse que seul l’humour permettra peut-être de dépasser, en l’interrogeant, la discutant, la critiquant, tout simplement en parlant.

Les histoires qui se racontent sont bien un reflet, mais déformé, d’une société qui s’interroge sur elle-même et qui cherche à faire exploser l’empêtrement, l’engluement dans lesquels elle comprend s’être laissée piéger. Ainsi les histoires de mères juives ou de Nice Jewish Girl, de Jewish American Princess, de mendiant, bouffon, avares, shlemil, rabbins et autres personnages de l’humour juif. Ce sont des caricatures poussées à l’extrême qui explosent à la fin comme la grenouille de la fable. La caricature n’est pas moquerie mais stratégie pour interroger telle ou telle situation.

HUMOUR ET IDENTITÉ

L’humour juif ne juge pas mais questionne, interroge. Sa position n’est donc pas morale et moralisatrice, mais éthique au sens où l’humour propose, par son questionnement implicite, de se confronter aux questions importantes du moment, malgré la dimension intempestive de cet humour.

Si la mère et la fille juive ont eu autant de succès, c’est parce qu’elles ont permis d’interroger à un moment de l’évolution de la société certaines questions aussi essentielles que le sexe, l’argent, le féminin et le féminisme, l’homosexualité de manière plus discrète, mais quand même, etc.

On aura cependant remarqué que de cette mère et fille juives, nous n’avons interrogé que la position de mère et de fille, et parlé très peu de leur dimension juive, de leur judéité dirions-nous aujourd’hui. Cependant, c’est là sans doute l’une des questions essentielles sous-jacentes à tous ces personnages, car c’est un des aspects qui a beaucoup travaillé la société juive de ce xxe siècle en particulier aux États-Unis et en Europe occidentale. Parler de judéité c’est parler de judaïsme mais avant tout de relations entre Juifs et non-Juifs, relations en filigrane avec la Jewish American Princess qui de facto renvoie à la GAP, la Goï American Princess, la fille non juive, libérée différemment, ayant un rapport à la vie, l’argent, le sexe et la famille complètement différent de sa collègue JAP. C’est là que l’on retrouve le fils juif qui n’étant plus dans sa phase « fils à sa maman » et ne voulant pas nécessairement rencontrer l’image inversée de sa mère juive, tourne les yeux vers les femmes non juives qui lui apparaissent comme étant, selon une expression de Biale dans son Eros juif, « l’Everest de l’assimilation et de l’intégration ». C’est aussi tout simplement un phénomène de société où les hommes et les femmes d’un même pays ou de pays différents se côtoient, se rencontrent et se marient.
La question du mariage mixte va ainsi devenir une question centrale de la société juive de la seconde partie du XXe siècle et ainsi une des questions que soulève à sa façon l’humour juif, ce révélateur dont nous explorons le mécanisme depuis le début de cette étude.

L’humour juif questionne. Qu’en est-il de ? Où en sommes-nous de ? De la question de Dieu, de la religion, de la sexualité des rapports entre les pauvres et les riches, les intellectuels et les gens simples, les Juifs et les non-Juifs, les hommes et les femmes, le pouvoir et l’opposition, les mariages mixtes, les couples mixtes, comme dans ce numéro de Tenou’a que vous avez entre les mains.